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Journal d'école
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10 mai 2006

"Plus tard" la liberté, toujours plus tard...

Lorsque j’ai découvert le blog de Brighelli, dans un premier temps, j’ai beaucoup ri : une sorte de chevalier blanc pourfendant l’erreur pédagogique, un saint homme et martyr offrant sa vie et son temps à la non moins sainte cause de la Méthode Syllabique et de l’Analyse Grammaticale, un résistant, également (on ne compte pas le nombre de fois où il se qualifie comme tel). Et puis, toute une kyrielle de courtisans, portant la robe du Maître. Au fil des messages – c’était un jour où je n’avais rien à faire – je suis tombé sur cette parole du Maître : « si donc je souhaite qu’un élève soit plus tard libre, il faut qu’en même temps je l’exerce à la rigueur, à la discipline, à l’obéissance ». Ca commence comme du Rousseau, ça se termine comme un père fouettard. Le Maître ne nous dit pas quelle limite il fixe à son « plus tard » ; on pressent néanmoins qu’elle doit avoisiner les 76 ans pour les garçons et environ 83 ans pour les filles (espérance de vie masculine et féminine en France aujourd’hui – INSEE première, février 2005, je cite mes sources, moi). En quelques phrases, le Maître nous a livré là le fond de sa pensée éducative, le bas-fond pourrait-on dire : l’enfant n’est pas un sujet, pas une personne, évidemment n’est pas doué de raison ; c’est un petit animal qu’il faut dresser. Dresser à répéter son b-a-ba, à réciter les règles d’accord dans les subordonnées relatives, réciter la liste des Capétiens directs et celle des sous-préfectures. Réciter, recopier, répéter, refaire, recommencer, régurgiter. Bref, ce que le Maître appelle « exercer à la rigueur ». Foin de « l’élève au centre » : le Maître se tient à son bureau, le bureau est sur l’estrade, la férule est sur le bureau. Et gare à celui qui pleure : le Maître n’aime pas les larmes. Car comment diable obtiendrait-on l’obéissance chez un petit animal ? Sévère dira-t-on mais la récompense est au bout du chemin : la liberté, « plus tard », toujours plus tard.

Bon, trêve de plaisanterie ; ôtons à Brighelli sa toge de maître et rendons lui son bonnet d’âne qui lui va si bien. Le discours de Brighelli dépasse très largement la simple querelle des méthodes de lecture ou de n’importe quel apprentissage. Ou, plus précisément, la question des apprentissages scolaires en cache une autre : à l’école, les rapports entre maîtres et élèves préfigurent ceux qui existeront, plus tard, entre adultes. Dans la société, il y a les dominants et les dominés et les dominés n’acceptent de l’être que parce qu’on leur a appris, enfants, à reconnaître l’obéissance comme valeur suprême, à ne jamais faire preuve de personnalité, d’originalité, à taire ce qu’ils sont. Refaire plutôt que faire, reproduire plutôt que produire, recommencer plutôt que commencer. Les enseignants devraient lire et relire Le drame de l’enfant doué, d’Alice Miller (PUF, 1983) ou C’est pour ton bien (Aubier, 1984), L’enfant sous terreur (Aubier, 1986). Pour la psychothérapeute suisse, la « pédagogie noire », en fait, la somme des violences, des brutalités subies par les enfants tant à l’école que dans le milieu familial, le mépris dans lequel sont tenus les enfants, le silence qu’on leur impose, sont à l’origine de bien des maux des sociétés adultes. Elle explique les drames du 20e siècle et son cortège de guerres, de génocides, de régimes totalitaires, par la brutalité des systèmes éducatifs en vigueur en Europe au début du siècle : quel monde peut-on attendre d’une éducation qui produit des déséquilibrés ? Bien sûr, un siècle a passé mais il est tout à fait frappant de constater que le vacarme assourdissant, abrutissant, des chantres de la Contre-Réforme éducative va de pair avec la mise en place d’un régime politique de plus en plus autoritaire, à vrai dire, policier, qui place,dans ses priorités, la liberté bien au-dessous de l’obéissance. Un peu comme dans l’école rêvée par  Brighelli et ses fidèles. Mais l’école rêvée par  Brighelli, n’est-ce pas, à vrai dire, la société rêvée par Brighelli ? Ce serait plus franc de le reconnaître.

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Commentaires
L
A Lola<br /> <br /> On n'a pas dû lire Brighelli à la même page.
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L
Cher Lubin,<br /> Vous avez écrit :<br /> <br /> Pour ceux qui se qualifient comme antipédagogues - comme Brighelli - l'élève est un sujet vide qu'il suffit de mettre au garde-à-vous, en silence, pour le remplir de savoir<br /> <br /> <br /> Désolée. je crois que vous vous trompez dans cette vision simplifiée. Brighelli dit tout simplement que la pédagogie n'est pas une science exacte et universelle, c'est un art. Et cet art ne s'apprend pas en IUFM, ni dans les livres de Merieu. <br /> Cet Art né avec l’homme( cet animal culturel pour lequel la transmission du savoir est inséparable de son essence) cet art s'apprend lors de ses propres études et dans les expériences variées de la vie qui leur font écho ; il s’apprend par le contact quotidien avec les élèves de tout âge, par le contact avec ses enfants, ses amis, ses pères.<br /> <br /> Je suis une prof extrêmement ouverte, je peux l’être parce que le savoir est au centre de mes cours. Mes élèves m'aiment, apprennent avec moi. J'encourage tout le monde, je me sers du coeur, mais aussi de certaines armes que je nettoie après utilisation. Car les enfants sont des enfants, ne demandent qu'à être respectés en tant qu'individus et leur plus grand souhait et de devenir adultes.<br /> <br /> Pour ces raisons j'aime le livre de Brighelli.
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L
Dans le texte au sommet de cette page il y a une vision complètement pernicieuse du rapport maître-élève qui est comparé au rapport dominant-dominé<br /> <br /> Dans la vie je suis plutôt anarchiste, ni dieu ni maître, hostile à l'autorité. Et pourtant si je veux apprendre le violon, l'histoire, le tennis, les mathématiques, etc. je choisirai bien sûr un "maître" si possible 1000 fois "meilleur" que moi dans le domaine considéré. Et je ne serai pas humilié par ce rapport maître-élève.<br /> <br /> je ne vois donc pas pourquoi les enfants qui par definition sont ignorants n'auraient pas des maîtres pour les "élever" (= porter vers le haut)<br /> <br /> quant à la discipline, il suffit d'avoir animé des colos pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'être à l'armée mais du moyen le plus economique d'obtenir le calme dans un groupe, ce calme étant dans l'interet de tous.<br /> <br /> Dedoubler les classes pour retablir le calme coûte tout simplement 2 fois plus cher à la collectivité que d'instaurer des regles minimales de savoir vivre à l'école
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L
Parce que la pédagogie est contraire à la "discipline", au "calme", aux "règles de vie minimales" ? Alors que c'est justement l'absence de pédagogie qui provoque l'indiscipline, le désordre et le mépris des règles. Bon, si c'est un animateur de colos anar qui vous le dit...
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L
Dans le texte au sommet de cette page il y a une vision complètement pernicieuse du rapport maître-élève qui est comparé au rapport dominant-dominé<br /> <br /> Dans la vie je suis plutôt anarchiste, ni dieu ni maître, hostile à l'autorité. Et pourtant si je veux apprendre le violon, l'histoire, le tennis, les mathématiques, etc. je choisirai bien sûr un "maître" si possible 1000 fois "meilleur" que moi dans le domaine considéré. Et je ne serai pas humilié par ce rapport maître-élève.<br /> <br /> je ne vois donc pas pourquoi les enfants qui par definition sont ignorants n'auraient pas des maîtres pour les "élever" (= porter vers le haut)<br /> <br /> quant à la discipline, il suffit d'avoir animé des colos pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'être à l'armée mais du moyen le plus economique d'obtenir le calme dans un groupe, ce calme étant dans l'interet de tous.<br /> <br /> Dedoubler les classes pour retablir le calme coûte tout simplement 2 fois plus cher à la collectivité que d'instaurer des regles minimales de savoir vivre à l'école
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