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Journal d'école
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31 juillet 2006

L'esprit de défense contre les droits de l'homme

L’armée, comme objet d’étude, est rentrée dans les programmes scolaires à partir du début des années 80 (le PS régnant). En 1982, les ministères de l’EN et de la Défense signent un protocole qui déclare dans son préambule : « La notion de sécurité est indissociable en France de l’existence d’une communauté nationale façonnée par l’histoire, animée d’un véritable esprit de défense. [...] La mission de l’EN est d’assurer une éducation globale visant à former les futurs citoyens responsables ». La formation des enseignants en matière de défense se fait au sein d’une organisation – le « trinôme académique – théoriquement placée sous la tutelle du recteur, mais en fait chapeautée par l’autorité militaire territoriale et l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) à propos de laquelle il faut signaler que, quoique bénéficiant depuis 1997 du statut d’établissement public, il se trouve en réalité hébergé dans les locaux de l’Ecole militaire et dirigé par un officier supérieur. Les programmes actuels relatifs à la Défense sont inclus depuis 1998 dans les programmes d’éducation civique de la classe de 3e ...alors même que, comme on le sait, cette matière fait l’objet d’une épreuve écrite obligatoire à l’examen du brevet. La loi du 28 octobre 1997 précise que « cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense ».

Autrement dit – et c’est là où le bât blesse – la sensibilisation des collégiens aux problèmes de défense est assurée exclusivement par les militaires. Les programmes officiels se doivent donc de refléter leur point de vue, leurs conceptions, leur morale, qui peut se résumer en une phrase : le rôle de l’armée n’est pas de faire la guerre mais d’assurer la paix. Tout est mis en œuvre pour accréditer cette idée aux yeux des élèves : les missions d’interposition ou de sauvetage dans les pays en guerre sont régulièrement mises en avant afin que nul ne doute de la légitimité de l’axiome : armée, facteur de paix. Dans cette optique, les programmes de 3e se livrent à un amalgame assez grossier entre les missions purement guerrières de l’armée et celles touchant à la protection civile auxquelles elles peuvent être amenées ponctuellement à participer. On fusionne, derrière cette notion fourre-tout de « défense » aussi bien l’action des pompiers, des secouristes, que celles des organisations humanitaires. Comme si un Rafale pouvait être assimilé à un Canadair !

L’élève et, derrière lui, le futur citoyen, est donc amené à ne jamais se poser les questions qui dérangent, ou, plus précisément, qui dérangeraient si l’on était autorisé à les poser, comme par exemple :

- est-on sûr que la défense de la paix et le souhait affiché d’éviter des bains de sang soient le seul motif des interventions extérieures ? Derrière la participation militaire française en Afghanistan aujourd’hui ou lors de la guerre du Golfe, n’y a-t-il pas comme des odeurs de pétrole ? Comment justifier, avec le recul, la présence de l’armée un peu partout en Afrique, lorsque l’on sait le triste rôle qu’elle a tenu au moment, par exemple, du génocide au Rwanda ou, à une époque très récente, comme force d’appoint pour nombre de tyranneaux africains ?

- quelle justification apporter à la force nucléaire française alors que la bombe atomique est, dans son principe, une forme de terrorisme d’état prenant en otage les populations civiles ? Sera-t-on autorisé à évoquer, en collège, les dégâts causés par les essais nucléaires dans l’Océan Pacifique ?

- faut-il accepter sans réagir les dépenses militaires colossales – en France, l’an passé, 43 milliards d’euros ; dans le monde, 1118 milliards de dollars pour une seule année – alors que les besoins les plus élémentaires des populations ne sont même pas assurées ? Ces dépenses sont-elles destinées à assurer la paix ou bien plutôt à entretenir les intérêts communs d’un lobby politico-militaire tout puissant ?

- la France est le second ou troisième exportateur mondial d’armements : est-ce la meilleure façon de promouvoir la paix que de vendre partout dans le monde, et spécialement dans les régions conflit, des armes dont on sait qu’elles serviront un jour ou l’autre ?

- la violence est-elle légitime et efficace pour résoudre les conflits et apaiser les tensions ? Assurer un développement plus juste et harmonieux de la planète n’est-il pas préférable à la guerre ?

Autant d’interrogations, de questionnements que l’on interdit aux élèves, parce que les programmes scolaires, sur ce point, reflètent en réalité une morale d’état – l’armée est un instrument de paix – imposée en réalité par quelques hommes politiques et défendue sur le terrain, dans les établissements scolaires, par des seuls militaires qui n’ont sans doute pas spécialement intérêt à ce que les citoyens réfléchissent à la paix et à la guerre. Avec l’esprit de défense, l’EN ne respecte pas ses principes, du moins, ceux qu’elle affiche ouvertement, à commencer par la nécessaire neutralité de l’enseignement : son approche partielle et partiale des problèmes de défense ne tient pas compte de la sensibilité, nécessairement diverse et variée, des élèves et de leurs familles ; pourquoi, sur ce thème, les nombreux mouvements, les associations pacifistes, non-violents, n’ont-ils pas le droit de porter aux jeunes une autre parole, un autre éclairage que ceux de l’armée ?  Ces programmes sont en contradiction avec les objectifs affichés de l’éducation civique qui visent à développer le sens critique, à ouvrir les yeux, à développer une pensée autonome. On a ici une fois de plus la désagréable impression que les valeurs mises en avant par l’EN, son insistance à évoquer les droits de l’homme comme fondement de la formation des citoyens, ne sont en réalité qu’un leurre, une duperie : quelle signification prendront ces droits aux yeux des collégiens à qui l’on refuse sur le sujet de la paix et de la guerre, le premier d’entre eux, la liberté de conscience ?

Alors que des enseignants – bien peu nombreux, il est vrai – sont sanctionnés par leur administration parce qu’ils s’imaginaient naïvement que les droits de l’homme s’appliquaient également à l’école...

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Commentaires
N
"La série d'épithète ne vient qu'après la démonstration, pourtant limpide, qui percole du texte de Lubin." Le lien entre votre démonstration est les sciences de l'éducation m'échappe complètement.<br /> <br /> "Peu m'importe les recherches sur l'effet pygmalion". Pour un pédagogue c'est plutôt effrayant ! :(<br /> <br /> "Je suis - je l'ai déjà dit - dans la position de l'ouvrier qui sait régler un carburateur," <br /> <br /> Il est facile de voir si un carburateur marche ou pas, mais il est rare que toute une classe "marche" à 100% ! D'où l'utilité d'une approche scientifique de la question.<br /> <br /> En outre, sans théoricien, sans ingénieur, il n'y aurait même pas de carburateur à régler :)<br /> <br /> "Si ça vaut 20 je mets 20, si ça vaut 1 je mets 1". Si vous PENSEZ que cela vaut 20 vous mettez 20. La docimologie nous enseigne que l'objectivité des notations est hélas largement (voire complètement) illusoire. Je vous suggère de consulter cette page: <br /> http://perso.orange.fr/jacques.nimier/docimologie.htm<br /> <br /> "présence dans l'établissement 40h00 par semaine" Je ne pense pas que cela arrivera car il n'y aura jamais assez de place pour tout le monde. Dans les labo de recherche c'est souvent l'inverse: de plus en plus, les gens ont un placard pour deux en guise de bureau, donc ils prennent le parti de rester chez eux pour travailler :(<br /> <br /> "Je vous renvoie à cette fable :" Lorsque les multinationales ont viré toutes leurs "fourmis" comment elles font pour gagner de l'argent ? :) Mais vous savez, il y a aussi (surtout ?) des fourmis parmi les chercheurs en science de l'éducation...<br /> <br /> "Et en plus on veut payer ce type trois fois mon salaire d'ouvrier qualifié" A quelle catégorie de profession pensez-vous exactement ? (dans la fonction publique pour être à x3 par rapport à un agrégé il faut monter sacrément haut dans la hierarchie :) ).
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D
La série d'épithète ne vient qu'après la démonstration, pourtant limpide, qui percole du texte de Lubin. <br /> <br /> Peu m'importe les recherches sur l'effet pygmalion. Le seul truc que j'ai à faire, c'est de ne pas casser les élèves - mais merci je n'ai pas besoin d'eux ni de concepts à n'en plus finir pour le deviner. J'ai été élève, non ? <br /> <br /> Je n'ai pas besoin de sociologues et de pédagogues pour ne pas attribuer les notes de manière à ce qu'elles aient une répartition gaussienne. Je note chaque copie avec un barème précis. Si ça vaut 20 je mets 20, si ça vaut 1 je mets 1 (rassurez-vous cela n'arrive guère, la plupart des classes tournent à 12). MAIS MON BAREME EST FAIT EN FONCTION DES SEULS ELEMENTS SCIENTIFIQUES ATTENDUS DES ELEVES. <br /> <br /> Je ne suis pas sociologue. Je ne conteste pas les sociologues tant qu'ils restent dans le cadre de leur discipline, et qu'ils ne viennent pas se mêler de la mienne sans l'avoir préalablement chiadée. <br /> <br /> Je suis - je l'ai déjà dit - dans la position de l'ouvrier qui sait régler un carburateur, et à qui on explique que la "modernité", c'est de recevoir des ordres d'un type qui n'a jamais vu de carburateur. Et en plus on veut payer ce type trois fois mon salaire d'ouvrier qualifié (tout à fait du même ordre que celui d'un prof). C'est ce qui se passe dans les multinationales. Je vous renvoie à cette fable : http://www.intelligenceverte.org/NI186.asp <br /> <br /> Les "sciences" de l'éducation voilà où ça va nous mener. <br /> <br /> Bon je vous laisse, je ne serai plus connecté pendant une semaine... De quoi préparer pendant l'accalmie votre contre-offevensive et renforcer votre ligne Hindenburg.
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N
La proportion d'insulte dans votre texte est (un peu) moins élevée que d'habitude... :)<br /> <br /> "Les "sciences" de l'éducation ne sont qu'une fumisterie à vocation policière, scientifiquement creuses, moralement illégitimes, intellectuellement vérolées et au service des pouvoirs néolibéraux qui détruisent l'Ecole depuis 30 ans" <br /> <br /> Hélas, il ne suffit pas d'affirmer, il faut encore *prouver*, et une surenchère d'épithètes haineux et d'épouvantails n'a jamais convaincu personne. <br /> <br /> Vous avez fait allusion par exemple à l'effet Pygmalion. Cet effet a été mis en évidence expérimentalement par plusieurs études indépendantes. Avez-vous connaissance d'études contradictoires qui infirmeraient ces résultats ? Ou avez-vous des critiques à formuler aux études effectuées, à la méthodologie utilisée ou à l'interprétation des résultats ? <br /> <br /> Le point frappant est que MEME SI VOUS AVEZ DE TELS ELEMENTS A PRESENTER vous ne pouvez disqualifier les sciences de l'éducation DANS LEUR ENSEMBLE - vous ne pouvez que disqualifier tel ou tel résultat. Même dans l'hypothèse où TOUTES les publications actuelles en science de l'éducation seraient bonnes à jeter, il n'en reste pas moins que l'étude scientifique (rigoureuse, objective et systématique) des pratiques pédagogiques est non seulement légitime mais encore nécessaire.
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D
Votre texte est extrêmement intéressant, et me donne des éléments pour répondre à Nikos sur la légitimité des sciences de l'éducation, en quoi elles sont une atteinte à l'esprit élèves et en quoi elles dégradent notre métier. <br /> <br /> 1) Vous posez les questions suivante :<br /> « la violence est-elle légitime et efficace pour résoudre les conflits et apaiser les tensions ? Assurer un développement plus juste et harmonieux de la planète n’est-il pas préférable à la guerre ? »<br /> Si le professeur n'est pas maître des programmes - normal pour assurer l'égalité des formations - IL EST MAÎTRE DES PROBLEMATIQUES QU'IL POSE POUR TRAITER LE PROGRAMME. <br /> Marrant, en ECJS (en 1ère, dans l'optique de la JAPD) , mes élèves ont posé exactement ces problématiques, et personne ne m'a ordonné de leur interdire. <br /> <br /> Rien ne vous interdit d'ouvrir votre cours exactement avec ces questions ! Je ne pense pas qu'un espion du IHEDN va passer et vous "rappeler à l'ordre". <br /> <br /> En fait, votre prose prouve que vous ne concevez votre métier que comme une fonction subalterne, obéissant strictement à une hiérarchie. Vous contestez certes la hiérarchie existante, l'esprit des programmes, mais vous ne contestez absolument pas le PRINCIPE d'une hiérarchie canalisant les profs. <br /> <br /> 2)« Autant d’interrogations, de questionnements que l’on interdit aux élèves, »<br /> <br /> Le professeur est là pour donner un savoir, et les ELEVES EN FONT CE QU'ILS VEULENT DE CE SAVOIR. Aucune question ne leur est interdite. <br /> <br /> Mais à vous lire un programme n'est pas là pour apporter connaissances et logique, mais surtout pour donner une orientation. Vous contestez juste son orientation actuelle, mais ne remettez pas en cause le PRINCIPE d'une orientation du programme, vous la voulez juste conforme à la vôtre. <br /> <br /> Vous ne vous percevez à l'évidence ni maître de la conception de vos cours, ni expert de votre matière, bref pas comme un cadre, mais comme un simple exécutant surveillé par un DRH, un gestionnaire ou un "expert" en "pédagogie", ce qui revient au même. <br /> <br /> Voilà exactement ce que veulent faire de notre métier les "sciences" de l'éducation. Avec derrière ce qu'on veut faire des élèves : des crétins eux aussi soumis, flexibles, obéissant eux aussi à un DRH ou à un gestionnaire. <br /> <br /> Les "sciences" de l'éducation ne sont qu'une fumisterie à vocation policière, scientifiquement creuses, moralement illégitimes, intellectuellement vérolées et au service des pouvoirs néolibéraux qui détruisent l'Ecole depuis 30 ans<br /> <br /> Vous êtes dans le moule, ils vous ont phagocyté. Ils ont gagné. La télé et la société vous ont conquis. <br /> <br /> Le corollaire de cette conception du métier est évidemment sa mise au pas, en commençant par la liberté de s'organiser en dehors de nos 15h00 de présence : présence dans l'établissement 40h00 par semaine, plus besoin de bibliothèque personnelle, plus besoin de lire (des ouvrages dont le prof est seul maître du choix), plus besoin d'aller sur le terrain. <br /> <br /> 3) Vous qui nous chantez les vertus du savoir "transversal", "non cloisonné", qu'attendez-vous pour collaborer avec les SVT pour traiter des dégâts des essais nucléaires ? Si ce n'est à votre programme, c'est au leur : séismes, énergies mises en jeu au cours des ruptures de failles, dégâts en surface, vitesse de propagation des ondes, intensité en fonction de la distance à l'épicentre.
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