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Journal d'école
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25 août 2006

Parlons toujours de l'école : ça évitera de parler de l'enseignement

Dans Libé (24/08/2006), Mehdi Ouraoui et Pierre Singaravelou, animateurs de la conférence Périclès, « cercle de promotion pour l’égalité dans l’enseignement », livrent leur vision de ce que devrait être « une rentrée idéale ». On connaît bien les auteurs, qui ont manifestement leurs entrées à Libé : le 12 avril 2006, ils avaient publié sur le même thème un article, critiqué dans Journal d’école(« La méritocratie républicaine contre la pédagogie », 13/04/2006). Leur recette : un médiocre mélange de banalités, de fausses solutions et surtout un grand silence sur les questions de fond, montrant une réelle méconnaissance des questions éducatives.

Comme souvent, on est irrité par cette façon qu’ont en commun les auteurs de l’article et les politiques de présenter comme innovation révolutionnaire ce qui se fait depuis longtemps ou ce vers quoi l’on tend : le ramassage scolaire par exemple. « A midi, aucun enfant ne se verrait refuser l’entrée d’une cantine publique » : même si, ces dernières années, certains maires zélés ont pu faire interdire l’entrée de la cantine à plusieurs familles, combien d’élèves sont-ils réellement dans ce cas ? Continuant à pousser les portes ouvertes, nos dangereux révolutionnaires suggèrent ensuite que « dès le début de l’année, parents et personnel encadrant pourraient se rencontrer dans des maisons des adultes ». Quelle innovation, effectivement...et qui viendrait sans doute remplacer avantageusement les réunions et la concertation parents/profs qui, depuis toujours font partie des obligations règlementaires des enseignants ! « Aucun enfant n’arriverait au collège sans maîtriser parfaitement la lecture » : encore faudrait-il préciser comment y arriver. Avec le b-a-ba cher à de Robien et à « Sauver les lettres » ? Alors que l’on sait très bien que la « maîtrise parfaite de la lecture » pour un enfant de 11 ans est illusoire et que c’est justement le rôle du collège et même du lycée que de tenter, modestement, de la faire acquérir. « La rentrée idéale – poursuit-on – serait citoyenne, mixte et laïque ». Là, on demande quand même un dessin, surtout pour l’exigence de mixité : depuis un demi siècle, école de garçons et écoles de filles ont fusionné. Il est vrai qu’on ne peut pas tout savoir.

« L’année scolaire débuterait par l’étude de la Déclaration des doits de l’homme et du citoyen ». Est-ce vraiment le bon jour lorsque l’on sait que les collégiens par exemple, sont littéralement gavés pendant quatre ans d’éducation civique et de déclaration des droits en tout genre, sans que les résultats soient vraiment époustouflants. L’éducation civique fait depuis toujours partie intégrante des programmes scolaires et des examens mais de manière tellement artificielle et déconnectée du monde des élèves qu’on a vite fait de les en dégoûter. Pas plus que les leçons de morale ne faisaient autrefois des êtres moraux, les leçons d’éducation civique ne contribuent à forger un réel sens civique : un citoyen, c’est d’abord un être responsable, quelqu’un, donc, à qui l’on a laissé prendre des responsabilités pendant son enfance et sa jeunesse. Bien autre chose que cette discipline frileuse et corsetée ou que cette piteuse Marseillaise qu’on assène aujourd’hui aux enfants. « Dans des ateliers du respect (sic), un accompagnement pédagogique compléterait des sanctions sévères contre tous les comportements discriminatoires et les violences scolaires ». Des « sanctions sévères » ? Le fouet, par exemple, les coups de règle sur les doigts,  comme ça se faisait dans les bonnes vieilles écoles d’autrefois que semblent regretter nos auteurs chez qui l’on sent poindre l’influence, certaine, de Royal-Sarkozy. Ils ne se rendent sans doute pas compte à quel point il peut être ridicule et, d’une certaine façon, injurieux, de laisser entendre que les enseignants accepteraient sans réagir les « comportements discriminatoires et les violences scolaires », alors qu’il s’agit d’une préoccupation de tous les instants ? A ceux qui fantasment sur les « sanctions sévères » on rappellera quand même que l’école en France est déjà aujourd’hui l’une des plus punitives qui soient alors que les punitions ont depuis lontemps montré leurs limites. Le reste des propositions est du même tonneau, comme par exemple « ouvrir  davantage les grandes écoles aux enfants des milieux populaires » – encore une idée piquée à Sarkozy. On attend toujours qu’on nous explique en quoi les « grandes » écoles peuvent être considérées comme des modèles éducatifs, ni surtout pourquoi les « milieux populaires » ont tellement de mal à y entrer. Car c’est bien là où le bât blesse et où l’analyse d’Ouraoui et Singaravelou montre toute sa faiblesse : assurer le transport scolaire et le petit déjeuner est sans doute une bonne chose, recruter davantage de personnels également, de même qu’augmenter l’allocation de rentrée mais tout cela n’est d’aucune effet si, dans le même temps, les contenus et les méthodes d’enseignement ne sont pas remis en cause, rénovés en profondeur. Or, dans cette longue tribune, comme d’ailleurs, dans les discours de la totalité de nos politiciens, si l’on parle beaucoup de l’école, jamais on n’évoque l’enseignement, comme si l’école pouvait avoir un sens en elle-même indépendamment de l’enseignement qui y est distribué. Pourtant c’est un fait reconnu, sauf par les ignorants et les gens de mauvaise foi, que si l’école n’assure pas l’égalité des chances, si les enfants des milieux populaires ont plus de difficultés que les autres à s’y faire leur place, la responsabilité en incombe principalement à des contenus d’enseignement, des programmes scolaires obsolètes, des méthodes pédagogiques inadaptées, une formation des enseignants déficiente, des procédés d’évaluation qui n’évaluent pas grand chose,  des rythmes scolaires ridicules dont on sait les méfaits de longue date. Le système éducatif français reste tributaire de ses origines, d’une époque où, fondamentalement, l’enseignement secondaire, tourné vers l’abstraction, était réservé aux enfants des milieux aisés alors que ceux des milieux modestes se voyaient cantonnés aux écoles primaires. Se réclamer de la « méritocratie républicaine » relève de la supercherie tant que l’on refusera, obstinément, de s’atteler à une rénovation en profondeur des méthodes et des contenus de l’enseignement. Ce dont ont besoin les enfants des milieux défavorisés – les autres aussi, d’ailleurs – c’est en premier lieu d’une révolution pédagogique qui leur permette d’utiliser au mieux leurs compétences et de réussir dans un système éducatif qui, autrement, tourne à vide.

http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/199920.FR.php

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