La faute à Meirieu, la faute aux Arabes
Dans Le Figaro ( 08/09/2006), l’éditorialiste Ivan Rioufol assène une nouvelle fois ses « Vérités sur le désastre éducatif ». Rien de bien nouveau pour une publication connue pour sa croisade obsessionnelle contre la pédagogie et le système éducatif en général. Ca commence comme convenu par une attaque contre « les pédants pédagogues (...) responsables de la destruction de l’instruction publique (...), l’endoctrinement des IUFM », il exhorte avec émotion la droite à « refuser d’avaliser la perte d’exigence , qui semble signifier (sic) comme le remarque le mathématicien Lafforgue, que les enfants des milieux défavorisés sont des petits malheureux intellectuellement déficients ». Jusque-là, Rioufol reste à la hauteur de ce qu’on attend de lui et du torchon qui l’héberge : enfiler comme des perles, âneries, mensonges et banalités sur le thème du déclin, de la baisse de niveau, du désastre, du tout fout le camp à cause des pédagogues soixante-huitards qui ont détruit notre belle école. Bon, si ça fait déjà vendre du papier, en cette période de vaches maigres pour la presse, ce sera toujours ça de pris.
Puis, très vite, Rioufol change de ton ; et là, le dérapage n’est même plus contrôlé. Citations : « Il faudra bien en finir avec cette autre hypocrisie qui feint de ne pas comprendre pourquoi la mixité sociale est en panne et pourquoi l’Education nationale n’arrive plus à faire respecter une identité commune. Oui, l’asphyxie de l’école est due à une immigration massive et incessante. Ce phénomène oblige des enseignants à faire apprendre à de plus en plus d’enfants étrangers une langue et une culture qu’ils ne connaissent pas, que, parfois, leurs parents n’admirent pas, voire qu’ils détestent (...). Il faudra bien prendre la dimension ethnique de la violence scolaire qui affecte de plus en plus d’établissements difficiles ». Fin de citation.
Il y a peu encore, cette prose nauséeuse qui fait de l’immigré le responsable de tous les maux de la société ne se trouvait guère que dans les milieux d’extrême-droite dont c’était le fond de commerce quasi-exclusif. Aujourd’hui, elle prolifère comme un champignon dans tous les milieux et tout spécialement autour de l’école : dans le débat éducatif, on n’a même plus honte de s’afficher ouvertement raciste. On voit le chemin parcouru, pas vraiment grâce à Le Pen qui n’a plus besoin d’ouvrir la bouche pour se faire entendre, mais par l’intercession d’un journal – et, à vrai dire, de beaucoup d’autres médias – qui se revendique comme le héraut de l’anti-pédagogie. Le Figaro, depuis de longues années, s’est fait une spécialité de dénoncer avec acharnement, avec une brutalité sans pareille, l’évolution d’un système scolaire qui, pour la première fois dans l’histoire, a pourtant cherché à donner à tous les enfants – même si ce n’est pas sans tâtonnements ni maladresses – la possibilité de poursuivre une longue scolarité, jusque-là privilège des milieux aisés. Le Figaro est devenu comme le réceptacle de toute une coterie dont la cible commune est la pédagogie, hébergeant généreusement les chantres de l’école du passé, donnant aux Brighelli, Le Bris, Lafforgue et bien d’autres encore, une notoriété que leur seule envergure intellectuelle ne leur aurait autrement jamais permis d’atteindre et surtout une légitimité qu’ils ne méritent pas. Avec Le Figaro, l’anti-pédagogie prend donc une « dimension ethnique », pour reprendre la formule de Rioufol. L’échec scolaire, c’est la faute à Meirieu, c’est la faute aux Arabes. On n’est à vrai dire pas surpris par cet amalgame : dans une chronique de Journal d’école du 10 septembre de l’année dernière – « Quand l’école de la république fait le lit de l’extrême-droite » – je m’étais permis de faire observer que les thèmes récurrents de la campagne anti-pédagogique offrait d’étonnantes similitudes avec certaines valeurs éducatives de l’extrême-droite telles qu’ elles apparaissent, par exemple, dans le projet politique du Front national : la dénonciation haineuse des pédagogues, des IUFM, du collège unique, l’apologie de l’école du passé et de ses bonnes vieilles méthodes, l’exigence d’un enseignement de l’ histoire basé exclusivement sur la chronologie nationale, une conception résolument policière de l’autorité, etc, tout cela, Le Pen le revendique depuis toujours, bien avant Brighelli et « Sauver les lettres ». Contrairement à ce qu’on m’avait alors rétorqué – et je m’en étais longuement expliqué – je n’ai jamais prétendu que la chapelle anti-pédagogique fasse office de sous-marin pour l’extrême-droite. Je pense simplement qu’il existe, transcendant les clivages politiques, une sorte de sentiment, peut-être une école de pensée, qui partage un certain nombre de valeurs parmi lesquelles la nostalgie pour le passé, un regard sur l’enfant considéré non comme une personne mais comme une matière à modeler, tout cela menant à conception autoritaire et brutale de l’éducation.
Cela fait maintenant de nombreuses années que règne autour de l’école un climat délétère et aujourd’hui, c’est tout bonnement le racisme qui gangrène le débat éducatif.
http://journaldecole.canalblog.com/archives/2005/09/10/793070.html