La police dans les têtes
Ce serait trop facile d’en rajouter une couche dans une histoire où l’Education nationale s’est ridiculisée comme rarement : cette directrice de maternelle – sait-elle au juste ce qu’est un garçon de 5 ans ? – perdant la tête au point d’exclure quatre enfants de son école soupçonnés d’ « attouchements sexuels » ; l’Inspecteur d’académie approuvant la décision qui permettra selon lui aux jeunes délinquants (présentés comme des violeurs par une partie de la presse comme le Figaro, ce qui ne surprend personne) de « mener une réflexion sans complaisance sur la portée de leurs actes » – on espére pour lui qu’il ne s’est pas relu avant de proférer ces âneries – avant de saisir le procureur de la république. Car cette pantalonnade ne vient pas de rien, elle s’inscrit en droite ligne dans tout un système de pensée, largement popularisé depuis maintenant plusieurs années, qui vise à débusquer la délinquance dès le plus jeune âge et à considérer toute forme d’incivilité, toute déviance, comme le signe avant-coureur d’une vie dissolue. Venue d’Amérique, cette idéologie de la méfiance, du soupçon, s’est répandue en France à travers les médias et les politiciens de droite comme de gauche. On y retrouve pêle-mêle l’Inserm, le rapport Benisti, Sarkozy et sa détestation de la justice des mineurs mais aussi, bien sûr, Royal qui affichait il y a peu son souhait de cadrer les parents, de traquer les incivilités « dès la maternelle », Chevènement, également, qu’on aurait tort d’oublier, qui, avec sa dénonciation des sauvageons, fut sans doute un des initiateurs de la grande trouille devant la jeunesse.
L’Education nationale s’est laissée gangrener avec, il faut le dire, une bonne dose de complaisance qui confine à la veulerie : dans le cas présent, les adultes ne jouent plus le rôle qu’on attend d’éducateurs mais plutôt celui de serviteurs zélés d’une administration brutale et autoritaire. On n’imagine pas un seul instant que la directrice de maternelle et l’inspecteur d’académie aient sérieusement pensé agir dans l’intérêt des enfants : leur véritable préoccupation fut de se couvrir et de couvrir avec eux la hiérarchie. L’administration dans ce qu’elle a de moins recommandable et qui la conduit régulièrement à toutes les dérives, des moins graves aux pires, avec, toujours, cette excuse : « je n’ai fait qu’obéir ». Etait-ce vraiment si difficile, pour cette directrice, d’alerter les familles, de faire intervenir un psychologue scolaire, peut-être des travailleurs sociaux, ce faisant d’agir en adulte responsable plutôt que d’ouvrir un parapluie pour se protéger elle, son administration, son ministre ? On voit bien où conduit ce discours obstiné, rabâché depuis des années, qui fait du policier l’auxiliaire de l’école : à décharger les enseignants de ce qui est pourtant leur mission – éduquer – pour la confier à d’autres dont ce n’est pas le rôle. Et finalement, une société policière, c’est peut-être ça : un monde où des adultes apeurés ou indifférents abdiquent toute responsabilité, tout esprit critique, refusent de penser par eux-mêmes, au point de s’interdire d’intervenir auprès d’enfants de 5 ans sur une cour de récré pour en laisser la charge à des policiers ou à des juges qui n’ont pourtant dans ce domaine ni compétence ni légitimité.