"Si vous voulez que vos élèves soient actifs..."
Récit sincère et véritable d’une curieuse inspection.
Il y a quelques mois, un professeur d’histoire-géo dont je tairais le nom reçoit la visite, en classe de 4e, de monsieur l’inspecteur. Sujet du cours : la monarchie absolue en France, à l’époque de Louis XIV. Bien en conformité avec les instructions officielles qui recommandent d’ouvrir les élèves à l’art et à la culture, l’enseignant choisit de faire travailler les élèves sur le célèbre portrait de Rigaud, accroché au Louvre, montrant le roi en costume de sacre. Se lançant de bonne grâce dans un travail pourtant difficile, les élèves multiplient les observations, les remarques sur le costume du roi, les attributs du pouvoir, son attitude solennelle. Ni barbares ni crétins, ils devinent la propagande derrière cette peinture officielle. Ils sont actifs, intéressés, manifestement heureux d’apprendre et de découvrir une notion complexe par le biais d’une iconographie. A la fin du cours, ils ont compris ce qu’était une monarchie héréditaire, une monarchie absolue, une monarchie de droit divin. Ils ont découvert le nom des Bourbons qu’ils ne connaissaient pas et celui de Bossuet, de même. Tout cela, donc, en 45 minutes ou à peu près. Oui mais voilà, le cours ne plaît pas à monsieur l’inspecteur et l’enseignant de se faire incendier durant l’entretien. « Vous négligez les savoirs ! », se voit-il reprocher. Parce que Louis XIV, la monarchie absolue, la monarchie de droit divin, Rigaud, Bossuet, ce ne sont donc pas des savoirs ? En fait, le courroux de monsieur l’inspecteur devait s’éclairer très rapidement : alors que l’enseignant montre sa préoccupation et sa satisfaction devant l’activité et le dynamisme des élèves, il s’entend répondre d’un ton ne souffrant aucune réplique : « si vous voulez que vos élèves soient actifs, vous n’avez qu’à les laisser sur la cours de récréation, là, ils sont actifs ! » Texto. Amis lecteurs, ça ne vous rappelle rien, ces petites phrases sur les savoirs et les élèves construisant leurs apprentissages ? L’école qui n’assure plus la transmission des connaissances et place l’enfant au centre ? Notre enseignant en tombe alors sur les fesses au point qu’il en oublie de répondre : « si vous ne voulez pas que les élèves soient actifs, vous n’avez qu’à les laisser chez eux devant leur manuel d’histoire, devant Wikipédia ou bien encore à écouter les belles histoires de l’histoire de France par Alain Decaux ». Pour cela, nul besoin de venir à l’école ; nul besoin d’un prof, non plus. C’est amusant, quand même, de considérer l’aveuglement et les contradictions des tenants de l’école conservatrice et du cours magistral : si les élèves ne devaient venir en classe que pour écouter sagement, bras croisés, la leçon du maître, alors il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui internet et les médias font quand même beaucoup mieux. Bien sûr, pour comprendre ce qu’est l’absolutisme, pour savoir qui est Louis XIV, on peut consulter n’importe quelles encyclopédies aux lettres « a » et « l ». Et s’en tenir là. Mais le travail du prof, ce jour-là, avec ses élèves de 4e, fut justement de leur apprendre à ouvrir les yeux, à mettre en relation, à interroger, à s’entraider aussi, à parler et à s’écouter, à se corriger mutuellement tout en se respectant ; ce fut aussi de donner des notions à acquérir une définition qui ait du sens. Parce que l’élève au centre, c’est ça aussi. Un prof qui, soit dit en passant, a exigé des efforts, car le travail n’était pas facile et les élèves s’y sont lancés sans regimber. Sait-on au juste, avec sa remarque méprisante qui de l’enseignant ou des élèves l’inspecteur voulait atteindre ?
Je dédie ce récit sincère et véritable à Brighelli et à ses amis, toujours prompts à crier au martyr et à se draper d’une parure de résistant devant une administration, une hiérarchie, noyautées par des pédagogistes qui leur feraient subir mille tourments. Ce jour-là, en classe de 4e, de quel côté se trouvait la hiérarchie ? Je n’irais pas jusqu’à poser la question : et qui était le prof ?