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Journal d'école
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17 janvier 2007

Les humanités selon Fumaroli : un projet politique qui ne se cache même plus

Si l’on veut savoir de quelle « culture humaniste » de Robien rêve pour les élèves, il suffit d’écouter Fumaroli, 75 ans, nommé par le ministre à la tête d’une commission « de réflexion » (sic) sur l’enseignement des humanités [entretien avec Todorov disponible sur le site du Nouvel Obs mais aussi ailleurs].

Extraits : « L’enseignement public français a beaucoup souffert des épigones de la linguistique dite scientifique, du structuralisme, de la sémiologie et de la sociologie néomarxiste qui ont colonisé les instances de décision pédagogique. C’est devenu en trois générations un drame national (...) La linguistique chassant la grammaire, plusieurs générations de jeunes Français ont été privés du plaisir de l’analyse des textes, de la joie de construire une phrase, un paragraphe, de distinguer un adverbe d’un adjectif... Les grands textes (...) ont été rendus insipides par une prétendue science transcendante qui les met sur le même plan que des comptes de blanchisseuse ».

La prose de Fumaroli, l’idéologie qu’elle sous-tend, les poncifs qui tiennent lieu d’arguments, la mauvaise foi qui cache mal la méconnaissance du sujet, tout cela nous ramène une fois de plus à « Sauver les lettres » et aux idéologues réactionnaires. Il est manifeste que Fumaroli, non seulement n’a pas mis les pieds dans un établissement scolaire depuis plusieurs décennies mais ne s’est même pas  non plus donné la peine de consulter les programmes du primaire et du secondaire. Comme dans les débats truqués sur la lecture ou  l’écriture, Fumaroli avance avec impudence d’énormes contrevérités qu’un simple coup d’œil sur les instructions officielles permettrait de ruiner. On verrait ainsi que « depuis trois générations » (sic), l’école n’a jamais cessé d’apprendre à lire, à écrire, à rédiger, à faire connaître les « grands textes » et que, par contre, les « comptes de blanchisseuse » (resic) n’ont jamais été inscrits au programme du bac. L’ignorance crasse de Fumaroli sur les questions éducatives lui fait regretter que « très peu d’élèves de collège n’aient accès à Nietzsche ou à Tolstoï » (en version originale sans doute ?) : sait-il au juste, Fumaroli, qu’un collégien a entre 11 et 14 ans ou bien est-il trop vieux pour se souvenir que ce n’est sûrement pas à cet âge-là que lui-même avait découvert Zarathoustra ou La mort d’Ivan Ilitch ?

On pourrait en rire si, en réalité, il n’y avait une morale derrière tout cela et, plus précisément, un projet politique. Car la conclusion de Fumaroli prend l’allure d’un aveu : dénonçant ce qu’il appelle l’ « égalitarisme » professé par l’Education nationale, il en appelle finalement à « un enseignement de qualité pour tous avec des enseignements de haute qualité pour les talents qui le méritent ». On ne savait pas l’anti-pédagogie jésuite à ce point : la qualité pour tous mais la haute qualité seulement pour quelques-uns. Ce que de Robien traduit ainsi : le b.a-ba, le rabâchage des règles de grammaire, le par cœur, le calcul mental, le recopier-réciter, la « qualité » donc, pour tout le monde, la culture, le plaisir de savoir, de découvrir, la « haute qualité » en langage fumarolesque, uniquement pour quelques-uns. Et si ces quelques-uns, ces « talents qui le méritent » s’avèrent de fait étroitement dépendants du compte en banque des parents, ce n’est sans doute qu’un malheureux hasard. Lorsqu’un élève n’accède pas à la « haute qualité », c’est de sa faute, après tout, il n’a qu’à être plus « méritant ». Avec de Robien, la mouvance réactionnaire sur l’école a trouvé son expression politique : le rétablissement de l’apprentissage à 14 ans n’est pas un accident, une trouvaille médiatique, un gadget destiné à flatter l’électeur. Il n’est pas que cela : la politique menée depuis un an et demi par le ministre répond à une logique implacable. D’où, d’ailleurs, la brutalité du ministre. Derrière le battage sur les bonnes vieilles méthodes, derrière l’évocation nostalgique d’un passé qui n’a jamais existé, des politiciens, soutenus par une coterie douteuse et hétéroclite qui fait de la pédagogie l’ennemi à abattre, ont pour projet de revenir non seulement à l’école d’il y a un siècle, mais aussi à la société d’il y a un siècle. Les inepties du président de la « commission de réflexion sur l’enseignement sur les humanités » ne sont pas que des radotages de vieil académicien. C’est plus dangereux que cela.

Alors qu’on annonce, pour les prochaines semaines, un mouvement d’action dans l’Education nationale, il paraît urgent que la contestation dépasse les contingences budgétaires ou catégorielles, même si celles-ci sont légitimes, pour voir un peu plus loin et dénoncer ce projet de société qui se met en place par l’intermédiaire de l’école. Je ne suis pas certain qu’une majorité d’enseignants y soient disposés...

http://hebdo.nouvelobs.com/p2201/articles/a329402.html

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Commentaires
M
Si vous vous donnez la peine de parcourir les contributions à ce blog, vous constaterez sans peine que ce que vous me reprochez est monnaie courante ici. Je ne parle par ailleurs absolument pas de fainéantise, et surtout pas de celle des enseignants. Cela dit, un collègue m'a rapporté aujourd'hui (je sais, je sais, ce sont des "propos de seconde main...) que dans un cours de terminale L, un élève avait apostrophé son professeur, qui visiblement lui en demandait trop, en lui faisant remarquer qu'"on n'était pas en S ici". Une remarque qui veut tout dire: même dans les filières littéraires du supérieur, les anciens de S tiennent le haut du pavé, non pas parce qu'ils sont intrinsèquement meilleurs, mais parce qu'ils ont acquis un minimum de méthodes de travail. Un fait que je constate moi-même plus souvent qu'à mon tour. C'est peut-être un juste retour de bâton par rapport à la situation qui prévalait autrefois; en attendant, cela menace, comme vous le savez, l'existence même de la filière littéraire au bac.<br /> Je suis entièrement d'aacord par ailleurs avec votre remarque sur l'horaire insuffisant en français; ah oui, mais il faut dégager du temps pour les TPE (et IDD en collège). C'est vrai que c'est tellement important de s'initier à la "recherche" quand on n'a même pas les bases (par charité, je tairai mon opinion personnelle sur la maîtrise de la langue de la majorité des bacheliers, dont, je tiens d'ailleurs à le préciser, ce n'est pas la "faute").<br /> Quant à la "France décadente": c'est loin de ma perception des choses. Ce que je trouve personnellement révoltant, c'est cette idée, largement défendue ici, que la soi-disant "démocratisation" de l'enseignement menée depuis des années, profite aux classes populaires, alors que les indications chiffrées montrent bien qu'au bout du compte, et bien plus encore qu'avant, ce sont les "héritiers" qui tirent les marrons du feu. (Je rappelle ici pour la énième fois que les enfants issus des classes défavorisées accèdent bien moins qu'avant aux formations d'excellence; ce n'est plus aujourd'hui que Bourdieu pourrait rentrer à Normale Sup, venant d'où il venait). On me taxera, comme d'habitude, d'élitisme. On me dira que tout ça est dû au fait que la "démocratisation" n'est jamais allée assez loin (God help us!). On a tort, si je puis me permettre: "Ce sont des chansons que cela. Je sais ce que je sais."
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Z
Voilà un entêtement assez étonnant je dois le dire, d'autant qu'il n'est étayé que par des propos de seconde main.<br /> Bien sûr, nos élèves n'ont pas un excellent niveau, ils sont même globalement plus faibles qu'avant, en ce qui concerne ma discipline.<br /> J'ajoute que les programmes actuels sont d'un formalisme excessif au lycée (je suis donc plutôt d'accord avec Fumaroli et Todorov, même si la posture réac' de l'académicien me hérisse).<br /> Toutefois, je ne peux pas laisser dire que mon cas (dont je n'ai aucune espèce de gloire à tirer, franchement) est isolé, puisque la majorité des enseignants appliquent les programmes (et par conséquent la quantité des oeuvres à étudier durant l'année scolaire, ainsi que la mise en oeuvre). Oh, ceux-ci sont perfectibles, bien entendu. Ils ne font pas suffisamment de place à l'histoire littéraire, par exemple, et les heures qui nous sont allouées sont réduites à peau de chagrin.<br /> Je ne poursuivrai pas plus avant cette discussion, car je sens, Meles, que rien ne pourra nuancer votre propos. Vous continuerez à penser qu'une fainéantise généralisée a pris possession de nos lycées (enseignants compris, cela va sans dire), et que vos sources sont plus fiables que les miennes, alors que je pratique le métier quotidiennement.<br /> Cela ne me dérange pas plus que ça, mais je suis peiné de constater que beaucoup, comme vous, persuadés d'avoir raison et défendant bec et ongle une certaine vision d'une France décadente, refusent de faire preuve d'un peu d'humilité en la matière.<br /> Je suis certain que si on vous démontrait quelque chose, vous continueriez à affirmer son contraire, sans rien d'autre à opposer que votre ton un peu outrecuidant, si je puis me permettre.
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M
Ce qui, visiblement, revient exactement au même.
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L
En règle générale, Meles, je ne réponds que lorsque j'ai quelque chose à dire.
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M
Que Zarathoustra en fasse faire beaucoup à ses étudiants, c'est beau et ça l'honore. En tirer des généralités sur ce que les élèves, de façon générale,ont réellement fait au terme de leur scolarité obligatoire, me semble plus risqué. Mon expérience est plutôt celle d'un vide abyssal à ce niveau, même avec des étudiants triés sur le volet. Et de miens collègues de français m'ont assuré que cela avait à voir avec les programmes actuels. <br /> Je constate par ailleurs, Lubin que décidément vous ne répondez que quand ça vous arrange.
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