L'école primaire en victime expiatoire
On ne sait si, avec le calcul mental, Robien a parachevé son œuvre titanesque de rénovation de l’école. Après tout, le calendrier politique lui laisse encore le temps de rétablir la distribution des bons points aux écoliers méritants et la blouse grise. Sans oublier les travaux d’aiguille pour les filles et les exercices militaires pour les garçons. Il n’échappe à personne que la plus grosse partie des circulaires ministérielles et des interventions médiatiques qui les ont accompagnées aura touché en priorité l’école primaire. Pourtant, selon un avis assez général, entre le primaire, le collège et le lycée, c’est bien le collège qui fait problème, le collège qui, justement, semble avoir été superbement ignoré par le ministre. Pardon, je suis injuste, j’allais oublier la note de vie scolaire et l’apprentissage à 14 ans. L’incapacité du collège à se renouveler, à s’adapter à un public nouveau, l’obstination, au contraire, à vouloir plier tous les élèves à un cadre plus ou moins décalqué du lycée expliquent, pour une bonne part, que le collège soit un peu considéré comme le maillon faible du système éducatif. A l’opposé, il paraissait – avant Robien, en tous cas – que l’école primaire avait plutôt bonne presse : lorsqu’il quitte le CM2 , non seulement l’élève a beaucoup appris, dans tous les domaines, mais il s’est aussi initié à la vie en société. A l’école, il grandit dans le bon sens du terme et semble même heureux de ce qu’il y vit ; en général – mais je ne nie pas que les difficultés existent – il aime son école et peut même y trouver du plaisir. On voit ici se lever la règle menaçante de la maîtresse Boutonnet : l’école n’est pas un lieu de plaisir, il ne faut pas craindre de faire pleurer les élèves. A l’opposé, combien de collégiens aiment-ils leur établissement ou trouvent intérêt à leur scolarité ? On ne remerciera pas un prof de collège d’avoir posé la question. Dans ces conditions, pourquoi donc cet acharnement robinesque à l’encontre de l’école primaire et la focalisation de l’opinion publique sur ce niveau ?
La réponse se trouve, au moins partiellement, dans les salles de profs de collèges, là où, à longueur de temps, se font entendre plaintes et récriminations sur ces petits 6e qui ne savent plus lire ni écrire ni compter ni rien faire, même s’il est manifeste qu’ils savent lire, écrire, compter et beaucoup d’autres choses. Seulement, pour les profs de collège, il est sans doute plus facile de se dédouaner de leur propre responsabilité et d’en faire porter la faute à ces instits du primaire – qu’au passage ils ignorent superbement quand ils ne les méprisent pas – dont on se demande ce qu’ils peuvent bien apprendre aux enfants. Robien, finalement, ne fait pas autrement : refusant de s’attaquer à une réforme de fond du collège et aux lobbies disciplinaires, il s’est lancé dans une campagne de communication, caricaturale et diffamatoire, bien plus que dans une réforme, visant l’école primaire. Les difficultés des collégiens ne tiennent pas à l’ennui profond que secrète le collège, avec ses méthodes rébarbatives et répétitives, sa discipline héritée d’un autre âge, mais aux « lacunes », à l’absence de « bases » des élèves au sortir du CM2. Et pour y remédier, on va donc faire descendre en primaire des façons de faire, ces « bonnes vieilles méthodes » qui, pourtant, échouent en collège : répéter, réciter, recopier, refaire. Avec les conséquences que l’on sait : ennui, découragement, crainte de mal faire, dégoût pour la chose scolaire. Pas de place ici pour le plaisir de la découverte.
On ne sait comment les circulaires de Robien seront appliquées sur le terrain ; bien des maîtres du primaire ont heureusement une capacité d’indépendance que n’ont pas leurs collègues du secondaire. Mais si les principes du ministre devaient finalement s’imposer, il ne faudrait pas s’étonner des dérives : lorsqu’une directrice de maternelle dénonce le stress de certains parents quand ils conduisent leurs enfants à l’école, le stress également des enfants, la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir reconnaître ses lettres dans le temps imparti, il y a matière à s’interroger : un enfant de 5 ans angoissé, nerveux, quel élève, au juste, va-t-il devenir ? Quand on fera le bilan de la politique de Robien, il faudra bien convenir que, non seulement il n’a résolu aucun des problèmes de l’école mais il en a créé là où ils n’existaient pas ; par dogmatisme et par opportunisme politique.