Sarkozy achète les profs
La démocratie gangrénée par le clientélisme, ce n’est pas nouveau, dira-t-on. A défaut de projet politique cohérent, on achète telle ou telle catégorie d’électeur : les agriculteurs, pour avoir la paix des fourches, les Corses, pour la paix des bombes (là, ça ne marche pas à tous les coups) et beaucoup d’autres dont les politiciens s’attachent le bulletin de vote par de généreuses subventions. L’Union européenne et le contribuable sont bons princes. Sarkozy, lui, achète les profs. Dans un discours à Maisons-Alfort vendredi soir, il s’est engagé à apporter aux enseignants « une amélioration nette et indiscutable de leurs conditions de travail, de leur statut social et de leurs revenus ». Il n’a pas précisé comment il augmenterait le salaire des profs tout en baissant les impôts mais pour qu’on le prenne quand même au sérieux, il a confié sur ce sujet une mission de réflexion (sic) à Darcos, Darcos, oui, sous-ministre à l’Education il y a quelques années, obsédé par les fesses des filles au point de vouloir mettre tous les élèves en uniforme. L’éducation, à l’UMP, ça n’est pas rien.
Son modèle éducatif, Sarkozy ne s’en cache même pas : l’école d’il y a un siècle. « Il était bien rare de rencontrer jadis des enfants sortis de l’école vers le début du 20e siècle à l’âge de 12 ans qui ne savaient pas lire, écrire ou compter correctement... », a-t-il martelé, avant de s’en prendre aux « pédagogues » et à l’idéologie de Mai 68, responsables de la « faillite » de l’école. S’il est élu, non seulement les élèves « se lèveront quand le professeur entre en classe », mais l’école redeviendra « un lieu de transmission du savoir », qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Et les profs seront augmentés. Et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. On reste sans voix devant la fulgurance de l’analyse. Une analyse qui nous rappelle quand même quelque chose : il y a à peu près un an, Le Bris, chantre de « Sauver les lettres » et de l’école en blouse grise et sabots de bois, se faisait acclamer au congrès UMP en présentant un projet repris aujourd’hui intégralement par le chef de l’UMP. Curieux, non ?
Les échéances approchent et la boucle est presque bouclée. Le discours passéiste et nostalgique sur l’école est en train de trouver sa concrétisation politique, quelque part entre l’extrême-droite et la droite extrême. Face à cela, à gauche, on se tait : d’abord parce qu’il ne fait guère de doutes que les théories fumeuses et caricaturales de Sarkozy, trouvent un écho favorable dans toute une mouvance – chevènementiste et autre – attachée à un modèle scolaire prétendument « républicain », en réalité fantasmé et obsolète qui est celui de « Sauver les lettres » et consort, alors que dans le même temps, le reste de classe politique, tétanisée par la croisade ultra-conservatrice sur l’école, manque de courage pour y faire face et s’y opposer frontalement. Est-ce si difficile, pourtant, de dire aux citoyens dont on brigue les suffrages que ce n’est pas en regardant un siècle en arrière qu’on prépare le monde de demain ?
Les profs sont-ils à vendre ? On a des doutes sur leur réponse.