Wolfgang Amadeus, l'enfant au centre
Comme c’est le week-end et qu’il faut bien se changer les idées, parlons un peu musique, de l’enfance de Mozart, par exemple, enfant certes doué mais on connaît tellement d’enfants dont les dons ont été étouffés par l’éducation, tellement de pianistes ratés par l’abus des gammes et des arpèges (je parle en connaissance de cause...) On sait que Mozart n’est jamais allé à l’école ; son seul maître, pendant ses années d’apprentissage fut son père, Léopold, un irresponsable laxiste comme nous allons le voir. Laissons la parole à Marianne Mozart, la grande sœur, la Nannerl des chroniques, ainsi qu’à Andreas Schachtner, trompette à la cour de Salzbourg et ami de la famille.
« Wolfgang était âgé de trois ans lorsque son père commença à apprendre le clavecin à sa fille âgée de huit ans. Et tout de suite l’enfant révéla le talent extraordinaire qu’il avait reçu de Dieu. Souvent il se divertissait pendant des heures à rechercher des tierces au clavecin, avec un plaisir ingénu à entendre l’agréable harmonie qu’il produisait chaque fois. Dans sa quatrième année, son père commença à lui enseigner au clavecin, pour ainsi dire par jeu, quelques menuets et autres pièces : étude qui coûtait si peu de peine aussi bien au père qu’à l’enfant, que ce dernier apprenait une pièce entière en une heure et un menuet en une demi-heure, de façon à pouvoir les jouer sans aucune faute, avec la mesure et la netteté les plus parfaites. Il faisait de tels progrès qu’à cinq ans lui-même composait déjà de petites pièces qu’il jouait au clavecin devant son père et que celui-ci transcrivait ensuite sur le papier (...) Jamais il ne fallut le contraindre pour composer ou pour jouer ; au contraire, il fallait toujours l’en distraire. Autrement, il serait resté jour et nuit assis au piano ou à composer (...) Il avait le désir d’apprendre tout ce qu’il voyait. Il montrait beaucoup de dispositions pour le dessin et pour le calcul ; mais il était trop absorbé par la musique pour pouvoir manifester ses talents en toute autre branche. » (Marianne Mozart, Mémoire à la maison Breitkopf, décembre 1799)
Quelques mois après la mort de Mozart, Andreas Schachtner, ami de la famille, raconte dans une lettre à Marianne en quelles circonstances, Wolfgang, alors âgé de six ans, fit voir à son père sa première composition : « ... son papa lui prit le papier et me montra un brouillon de notes de musique, dont la plupart étaient écrites sur des taches d’encre étalées (car le petit Wolfgang, par inexpérience, plongeait sa plume chaque fois jusqu’au fond de l’encrier, d’où il en résultait, à chaque fois qu’elle touchait le papier, un gros pâté qu’il étendait alors résolument avec la paume de la main pour le sécher, après quoi il écrivait par-dessus). Nous commençâmes par rire de ce qui paraissait un véritable galimatias ; mais votre papa se mit ensuite à examiner l’essentiel, la musique, la composition. Un long moment il se tint tout raide et muet devant la feuille de papier ; enfin deux larmes d’admiration et de joie coulèrent de ses yeux. » (Andreas Schachtner, lettre à Marianne Mozart, Salzbourg, avril 1792)
Un enfant qui se divertit pendant des heures devant son instrument, une étude qui coûte si peu de peine aussi bien au père qu’à l’enfant, un enfant qu’il n’a jamais fallu contraindre pour se mettre au travail, qui sait composer avant de savoir écrire, un père extraordinairement présent mais respectueux, qui examine l’essentiel sans s’attarder sur les taches d’encre, qui enseigne par jeu, c’est ainsi que fut éduqué le petit Mozart. L’enfant au centre en quelque sorte.
[Les textes ci-desssus sont tirés de Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart, Fayard, 2e éd., 1990]