Une très longue journée scolaire
Rallonger de deux heures la journée des élèves, comme vient de le suggérer Darcos ? Alors que la journée scolaire est déjà excessivement longue, cette proposition vise surtout à évacuer toute remise en cause de la sacro-sainte heure de cours. En novembre dernier, au cours de la campagne électorale, j’avais posté ce message sur Journal d’école (15/11/2006). Il me semble toujours d’actualité.
On en a pris l’habitude mais ce n’est pas une raison pour l’accepter ni pour s’en réjouir : la campagne électorale et les ambitions politiciennes non seulement dénaturent en profondeur le débat éducatif mais, à terme, par les crispations qu’elles génèrent, rendent impossible ou compliquent toute évolution du système scolaire. Ainsi en est-il de la question du temps de travail des enseignants, posée de façon caricaturale par Royal et beaucoup d’autres : avec un minimum de sérieux et d’honnêteté, on se rendrait compte que ce n’est pas tant le temps de travail des profs qui fait problème que celui des élèves. Il est quand même curieux de constater qu’alors que les élèves français ont déjà, en Europe, la plus longue journée de classe, on affirme de partout que cette journée n’est pas suffisamment mise à profit pour une bonne assimilation des connaissances et des compétences attendues et qu’il faudrait donc multiplier par deux le temps de présence des enseignants à leurs côtés. Et donc multiplier par deux la journée de travail des élèves ? Si l’heure traditionnelle de « cours » génère un tel échec qu’il faut la faire suivre d’un temps plus ou moins long de « soutien », d’ « études dirigées », de « devoirs du soir », n’est-ce pas alors le principe même de l’heure de « cours » qu’il faut remettre en question ? Tout le monde semble se satisfaire de cette situation ubuesque : une fois que le prof a terminé son « cours », commence alors le temps de travail des élèves, c’est-à-dire le temps d’assimilation, de compréhension. Généralement, le prof, pendant son « cours » a beaucoup parlé, les élèves se contentant d’écouter un peu ou pas du tout. Un peu schématique, dira-t-on mais le fait est que l’heure de cours traditionnelle, en grand groupe, a conservé bien des restes du cours magistral où le prof est au centre de la scène, les élèves se contentant d’observer, de s’ennuyer ferme, ou de chahuter. Ils sont en tout cas bien peu actifs et rarement en position d’apprentissage. On voit bien que les heures de soutien ne sont là que pour tenter de remédier aux lacunes, aux faiblesses, à l’inefficacité du cours traditionnel. Remédiation toute aléatoire : les élèves qui y sont soumis n’en retirent souvent qu’un maigre profit, accompagné d’un dégoût encore plus marqué pour l’école. Si les 18 heures de cours hebdomadaires d’un prof de collège génèrent autant d’embarras, s’avèrent d’aussi peu de profit pour les élèves, si l’on apprend aussi peu pendant une heure de cours, peut-être n’est-il pas saugrenu d’imaginer, de concevoir une autre forme d’enseignement qui tienne compte de la diversité des élèves comme de leurs capacités personnelles. Les solutions existent depuis longtemps : le travail individualisé, le travail de groupe, la pédagogie différenciée, autant de manières de faire « cours » dont l’efficacité n’est plus à démontrer.
Oui mais voilà : cette remédiation n’est pas dans l’air du temps et l’on sait comment les politiciens savent humer l’air du temps, incarné par les sondages d’opinion. Notre époque qui a inventé le néologisme de « pédagogisme » comme une injure pour dénigrer toute réflexion sur les mécanismes d’apprentissage, qui considère que mettre « l’élève au centre » équivaut pour un adulte à s’agenouiller devant les enfants, cette époque, donc, n’est sans doute pas disposée à entendre certaines vérités, comme celle-ci : à savoir que le découpage des savoirs en disciplines scolaires et des apprentissages en heures de cours, hérité d’un autre âge, historiquement daté, n’est pas en mesure de répondre aux objectifs que s’assigne l’école [...]
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