Cannabis : les apothicaires sortent de leur officine
12 millions de Français reconnaissent avoir fumé du cannabis au moins une fois dans leur vie et, à 17 ans, un jeune sur deux l’aurait expérimenté. Les chiffres sont connus et, pour l’Académie nationale de pharmacie, ils sont « alarmants », comme, bien sûr, sont alarmants tous les chiffres concernant les jeunes. Dans une communication récente devant cette docte assemblée, le Pr Boulu va plus loin : pour lui, il s’agirait même d’une « pandémie », ni plus ni moins, comme le sida ou la peste. Terme fort, très chargé, mais finalement bien dans l’air du temps : aujourd’hui, lorsque des comportements sont en cause, il s’agit de faire peur, de stigmatiser bien plus que d’analyser. Comme les « barbares » ont envahi nos cités, voire l’école, le fumeur de joint est un pestiféré qui, non seulement met sa vie en danger mais également celle des autres. Pour nos pharmaciens, la responsabilité de cette contagion – on s’étonne de ne pas avoir encore entendu le terme d’ « épizootie » - est à rechercher dans la « communication banalisante » qui entoure cette drogue. Là, on est autorisé à se demander si l’auteur de la formule n’a pas un peu forcé sur le beaujolais nouveau, car parler de banalisation dans un pays qui est de loin le plus répressif en la matière ne fait pas très sérieux : banalisation, quand une bonne partie de l’activité de la police et des tribunaux tourne autour du cannabis ? Quand des centaines de milliers de jeunes sont fichés pour quelques grammes de cannabis ? Quand la justice prononce de lourdes peines d’emprisonnement contre des « trafiquants » qui, pour une autre drogue - pastis, prozac etc - seraient simplement qualifiés d'honorables commerçants ou d'estimables pharmaciens ? Dans son delirium punitif, l’Académie de pharmacie va plus loin et cette fois, c’est elle qui fait peur : non seulement une formation doit être dispensée sur ce thème dans les IUFM – on imagine une sorte de « module cannabis » - mais elle recommande aussi de « mener une réflexion sur la pénalisation des discours permissifs à l’égard du cannabis » ( !). Autrement dit, interdire tout débat public sur le sujet et, par exemple, traduire en correctionnelle l’auteur de ce blog pour menée subversive et atteinte à la santé morale et physique de notre belle jeunesse. Ces vieux réflexes pétainistes, dans un pays où l’alcool et les tranquillisants font des ravages en toute légalité, se situent dans une ligne de pensée qui, par les temps qui courent, prend des proportions de plus en plus inquiétantes. On ne compte plus les initiatives tendant à criminaliser les comportements réputés déviants, même les plus bénins, au nom d’on ne sait trop quelle vérité médicale ou scientifique. On prétend traquer les comportements déviants dès la maternelle, isoler le gène de la pédophilie et la prison redevient le lieu d’enfermement des malades mentaux, comme elle l’était par le passé. Il est dans l’ordre des choses que la médecine soigne et que la pharmacie délivre les médicaments mais que médecins et pharmaciens prétendent définir la morale et dicter la loi est parfaitement illégitime. Et même très dangereux par ces temps sarkoziens.