Brighelli l'imposteur
De temps en temps, parce qu’il le faut bien, Brighelli laisse au vestiaire ses habitudes de grossièreté, de vulgarité qui sont sa marque de fabrique, met une sourdine aux anathèmes et aux imprécations contre ceux qui ne pensent pas comme lui – ce qui ne l’empêche pas d’ouvrir son blog à des formules du genre « tuez les tous ! ». Dans Metro ( 02/04/2008), Brighelli joue les vierges effarouchées, se donne des airs de respectabilité. Il faut dire qu’il a un nouveau bouquin à vendre - en réalite, sous un titre différent, car on aurait du mal à y trouver des idées nouvelles, une réédition des pamphlets plus anciens – ce qui implique un certain souci des convenances : il ne faut pas effrayer l’acheteur. Brighelli, c’est aussi un représentant de commerce, les convictions ne doivent pas porter préjudice au compte en banque. Donc, dans Metro, la main sur le cœur, Brighelli annonce qu’il n’est « ni de droite ni de gauche (...) je ne fais pas de politique ». On rappellera quand même à ses fidèles, qu’il y a moins d’un an, il soutenait avec chaleur le candidat Sarkozy et qu’il bénéficie d’un fort capital de sympathie à l’UMP, comme d’ailleurs, à l’extrême-droite. Ni de droite ni de gauche, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir d’ « excellents rapports » avec le conseiller Education de Matignon. Quant à ses relations avec Darcos : « nous nous connaissons (...), mon livre est un recueil des idées auxquelles le ministre pense peut-être en se rasant le matin (...) S’il ne les met pas en œuvre, il le fera tôt ou tard (...) ». Faux-cul, donc, Brighelli, feignant d’ignorer que Darcos s’est inspiré exclusivement des thèses des chapelles réactionnaires pour rédiger ses programmes, manifestant un incommensurable mépris pour les acteurs de l’éducation. Des gens à tuer, il est vrai.
Avec son « ni droite ni gauche », Brighelli fait sienne la vieille rengaine des conservateurs – mais il existe en la matière des conservateurs de gauche, comme le dit Lofi – selon laquelle l’école ne ferait pas partie du champ de la politique, qu’elle serait à l’écart des débats de société, idéologiquement neutre. Le mythe de l’école-sanctuaire, à l’abri du monde, dans laquelle on entrerait comme en religion. Mais les programmes Darcos-Brighelli reflètent une idéologie forte. Derrière la revendication affichée d’un retour aux « fondamentaux », aux « bases », se cache, bien mal d’ailleurs, un véritable projet de société. Car en fait de bases ou de fondamentaux, ce ne sont qu’à des rudiments grossiers que seront astreints les élèves. Occupés à temps plein et souvent en pure perte sur des mécanismes essentiellement répétitifs, les élèves seront dorénavant privés de littérature, d’histoire, de géographie, de sciences, d’ouverture au monde. Dressés à rabâcher, ils arriveront en fin de primaire incapables de s’exprimer, de penser par eux-mêmes, de comprendre le monde dans lequel ils vivent. N’est-ce d’ailleurs pas là l’objectif de programmes visant à former des sujets obéissants et non des citoyens éclairés ? Mais on sait également que tous les élèves ne partent pas à égalité et que ceux qui bénéficient d’un milieu familial favorisé, et seulement ceux-là, seront en mesure d’échapper à cet appauvrissement sans précédent des missions de l’école. Quant aux autres, les enfants qui ne partent pas en vacances, qui n’ont pas internet à la maison, pas de livres, pas de revues, ceux qui ne bénéficient d’aucun éveil culturel, ceux-là sont condamnés à rester dans leur ignorance. Avec une école incapable de leur apporter sur temps scolaire la formation à laquelle ils ont droit, ils se verront astreints à retourner à l’école pendant les vacances, essayer de sécher leurs larmes sur des exercices de grammaire qui ne feront qu’aggraver leur échec. Avec cette stigmatisation des élèves les plus faibles, des élèves les plus pauvres, le système éducatif non seulement revient un siècle en arrière, quand les études et la culture secondaires étaient réservés aux enfants des milieux favorisés, mais aussi beaucoup plus loin dans le temps, à l’époque, où, dans les écoles, on séparait élèves « payants » et élèves « gratuits », les riches d’un côté, les pauvres de l’autre. L’école Darcos-Brighelli, c’est d'abord cela : une école de classe, une école d’apartheid. Mais, bien sûr, Brighelli n’est pas un homme de droite. De même que n’est pas de droite une politique qui sabre brutalement dans les dépenses d’éducation, de santé, de logement, une politique qui privilégie avant toutes choses l’intérêt des plus riches. Et puis, en ce moment, Brighelli a un bouquin à vendre...
Brighelli ou l’imposture médiatique.