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Journal d'école
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16 avril 2008

La drôle d'histoire de Brighelli

Dans son dernier pamphlet – en fait un remake des précédents, tant les idées nouvelles y sont absentes – avec Brighelli comme prof d’histoire, la grenouille se fait aussi grosse que le bœuf. Une fois de plus, il est pris en flagrant délit d’ignorance, de contradiction et de mauvaise foi. Le chapitre consacré à l’enseignement de l’histoire débute immanquablement par les lamentations sur « l’inculture historique abyssale des élèves », inculture dont il trouve la preuve non pas dans les enquêtes menées régulièrement par l’Education nationale sur les compétences des élèves ou les résultats d’examen (bac et brevet) mais dans une citation de Sempé et Goscinny tirée de Joachim a des ennuis (1964) ou dans un texte humoristique de Ionesco sans rapport avec la question (1974). Avec de telles références[1], on sent que Brighelli a longuement travaillé son sujet. Bien sûr, s’empresse-t-il d’ajouter, les « malheureux élèves n’y sont pour rien », c’est la faute aux programmes. Ainsi, le lecteur est-il surpris d’apprendre que les programmes d’histoire font l’impasse sur l’histoire de Rome, sur  le 17e siècle, la Révolution française, la révolution industrielle, le Second empire mais aussi d’ailleurs le Premier (ramené, paraît-il, à l’étude du Code civil), sur François Ier, la guerre de Cent Ans et même le Moyen Age. Il est vrai que Brighelli doit avoir du mal avec la périodisation de l’histoire lorsqu’il évoque les « six siècles (Xe-XVe siècles)  qui constituent à proprement parler le Moyen Age » (sic) alors que n’importe quel élève de 5e, voire de CM2, sait que le Moyen Age débute avec la disparition de l’Empire romain au tournant des 5e-6e siècles. A la page suivante, également, Brighelli place la guerre d’Algérie (1954-1962) dans les événements des « trente dernières années »( !). Pour Brighelli, manifestement, les émeutes de Villiers-le-Bel sont un épisode de la guerre d’Algérie. Où l’on voit, donc, que « l’inculture historique abyssale » n’est pas seulement le fait des élèves.

Méconnaissance du sujet : Brighelli n'a pas travaillé son texte. Avec un minimum de sérieux et d'honnêteté, en consultant les programmes officiels de l’Education nationale, il aurait pu se rendre compte que l’histoire romaine, le Moyen Age, le 17e siècle, la Révolution française et bien d’autres choses font partie intégrante des questions étudiées entre l’école primaire et le lycée. Dans le même temps, alors qu’il déplore le vide des programmes, il juge inutile d’encombrer les élèves avec l’histoire de la décolonisation (au passage, Brighelli semble confondre l’Inde et l’Indochine...) qui « témoigne du sentiment de culpabilité de ceux qui ont conçu ces programmes ». Bien sûr, Brighelli aurait été beaucoup plus arrangeant sur l’Asie et l’Afrique si les programmes avaient pu inclure les « aspects positifs de la colonisation », comme certains de ses amis politiques le souhaitent. Pour lui, l’histoire de notre époque n’est rien d’autre qu’une perte de temps, qui « alimente les conflits stériles ». Rien ne doit salir la mémoire nationale. Brighelli reprend à son compte les conceptions éculées de l’historiographie du 19e siècle pour laquelle l’histoire a pour fonction de faire naître une conscience nationale, d’ « insérer les écoliers français dans l’histoire et la géographie de la France ». Dans cette optique, non seulement les esclaves, les Arabes, les Africains n’ont pas leur place, pas davantage, sans doute, les Cathares, les Vendéens, les Juifs probablement, les Protestants, mais encore les femmes, les enfants, les paysans, les prolétaires, tous ceux qui, à un moment ou à un autre ont remis en cause le récit imaginaire et trompeur de ce que Suzanne Citron appelle l’« histoire-célébration ».

Que reste-t-il, dans ces conditions de la chronologie, de ce « fil chronologique » que Brighelli prétend vouloir réhabiliter et qu’il serait d’ailleurs bien en peine de définir ? On croit comprendre que la chronologie c’est « ce qui alimente le récit » - mais de quel récit s’agit-il, puisqu’on exclut du champ de l’histoire tout ce qui permettrait, justement, de lui donner sens ? - , la chronologie, c’est aussi, bien sûr, « la mémoire », comprenez le par cœur : 1515, Marignan. Avec ce mélange de niaiserie et de fatuité qui lui est ordinaire, Brighelli s’autorise à faire la leçon à ses « collègues historiens qui ont parfois du mal à intéresser leurs élèves, voire à tenir leurs classes ». Il sombre ici dans la confusion la plus totale (on laissera au lecteur le soin de juger s’il en fait exprès ou non) : s’avisant que les enfants « adorent qu’on leur raconte des histoires », Brighelli imagine l’histoire à l’école un peu sous la forme de « ces belles histoires de l’oncle Paul, qui enchantaient jadis les lecteurs de Spirou ». En quelque sorte, l’histoire des trois petits cochons, c’est toujours de l’histoire au même titre que l’histoire du ghetto de Varsovie. On s’esclafferait si, derrière l’amalgame né de la polysémie du mot « histoire », il n’y avait un système de pensée et un projet éducatif diablement inquiétants. Pour Brighelli en effet, les élèves n’ont besoin que de « contes », que de « merveilleux », ils ne doivent surtout pas réfléchir : « à vouloir, à toute force, qu’ils réfléchissent, on se les aliène et on les dégoûte de ce qui, justement, pourrait les amener à réfléchir, un peu plus tard ». Avec cette conception ahurissante de l’enseignement de l’histoire, Brighelli montre non seulement son ignorance de ce qu’est un cours d’histoire mais aussi – ce n’est pas nouveau – le profond mépris dans lequel il tient les élèves. S’il condescendait à pénétrer dans une classe de 6e, il verrait des élèves, tout jeunes donc, questionner, par exemple, des mythes de l’Antiquité grecque, confronter mythologie et récit historique d’après un texte de Thucydide, mettre en parallèle les croyances religieuses des Hébreux et des Egyptiens, philosopher – à 12 ans, c’est interdit ? – sur la nature humaine ou divine du pharaon, examiner d’un regard critique le fonctionnement de la démocratie à Athènes et la question de l’esclavage. Pardon, j’oubliais que l’esclavage est un sujet tabou... Oui mais pour cela, il faut accepter l’idée que l’enfant sait réfléchir par lui-même, accueillir et encourager sa parole, même bégayante, toutes choses qui sont manifestement au-dessus des forces de Brighelli. Il est remarquable de constater à quel point les plus ardents défenseurs des « savoirs » et de la transmission des « connaissances », si prompts à dénoncer la baisse des « exigences », n’ont finalement rien d’autre à proposer que cette conception réductrice, minimaliste, caricaturale de l’enseignement de l’histoire. Pour les enfants du 21e siècle, les belles histoires de l’oncle Paul sont amplement suffisantes ; le reste, la connaissance justement, plutôt que les connaissances, le savoir, plutôt que les savoirs, viendront « plus tard », toujours plus tard. L’école rêvée par Brighelli, finalement, c’est une école où, à force de confondre bases et rudiments, on n’apprend rien, une fabrique de crétins en quelque sorte.

Comme s’il n’avait pas suffisamment chargé la barque, Brighelli nous gratifie in fine d’une élucubration supplémentaire dont on lui laisse évidemment la responsabilité : « L’autre illusion majeure des concepteurs de programmes, c’est la prétendue « objectivité » historique ». Pour nos petits élèves, les légendes sont bien suffisantes, « Napoléon se comprend très bien avec l’imagerie d’Epinal », écrit-il, avant de poursuivre avec cette remarque sibylline : « (...) faut-il rappeler que bien souvent l’histoire la plus positiviste n’existe que par le cumul des Mémoires, journaux et témoignages, dont la convergence finit par créer une objectivité – ou ce qu’il nous plaît d’appeler ainsi ? (...) Sans compter que ce qui est donné pour vrai un jour ne l’est plus forcément le lendemain ». C’est aussi ce que pensent certains historiens. Ainsi, si la Shoah est aujourd’hui considérée comme vérité historique – « ou ce qu’il nous plaît d’appeler ainsi » - est-on sûr qu’il en sera toujours de même ? Ces historiens qu’on désigne sous le nom de révisionnistes.

Résumons. Le dernier Brighelli : un petit bouquin (pas donné d’ailleurs, la « refondation » de l’école est aussi une affaire de gros sous) qui navigue en permanence entre l’insignifiant et l’ignoble, où l’ignorance crasse et les contrevérités sont étayées par un projet éducatif et politique dont on espère qu’il ne verra jamais le jour. L’ennui est que ce petit bouquin est aujourd’hui le livre de chevet du ministre de l’Education nationale qui s’en inspire largement.


[1]  Au passage, mais c’est récurrent dans ce type de publication bâclée, on relève l’absence totale d’appareil critique, notes de bas de page, bibliographie. Le lecteur est censé croire sur paroles.

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Commentaires
L
Ce ne sont pas des fautes : j'en ai fait exprès...
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A
Billet bien écrit, aussi je vous suggère d'y corriger deux petites fautes (désolé, je suis un puriste) : <br /> 2e ligne : "tant les idées nouvelles y sont absentes" -> "tant les idées nouvelles en sont absentes"<br /> 3e paragraphe : "on laissera au lecteur le soin de juger s’il en fait exprès ou non" -> "sil le fait exprès ou non"
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T
http://www.france5.fr/ripostes/
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T
alors comme ca l'inamovibilité des fonctionnaires est gage d'indépendance ? Vous pensez qu'il n'ya que des moutons collabos dans le privé ? et dans le public, il n'y pas de petits chefs, de leches bottes, de zélés ???
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T
Et est-ce que écrire des phrases qui se comprennent mais avec 23 fautes par ligne c'est "des grosses difficultés" ?
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