A qui la faute ?
Le suicide d’un prof dans l’Aisne est sorti de la sphère privée pour tomber dans le débat public. Alors, juste quelques observations personnelles.
La garde à vue d’un prof est-elle justifiée ? L’est-elle moins que les 500 000 gardes à vue comptabilisées en 2007 ? Pas moins d’un demi-million d’individus – parmi lesquels combien de délinquants avérés ? – retenus ainsi par le bon vouloir des gendarmes et policiers, avec une bonne dose d’arbitraire, sans qu’on s’en émeuve particulièrement. La France est-elle un état policier ? Ce chiffre a quand même de quoi inquiéter.
Les plaintes déposées par les parents contre des profs sont-elles en augmentation ? J’avoue ne pas disposer de chiffres sur le sujet mais si tel était le cas, serait-ce surprenant ? Pour comprendre, on peut remonter à la loi dite de « sécurité intérieure » du 9 septembre 2002, une des premières lois sécuritaires du sarkozisme naissant (il y en aura beaucoup d’autres, et des pires, les années suivantes). Au détour d’un alinéa, les parlementaires avaient créé cet inénarrable délit d’ « outrage à enseignant », passible de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. Pas moins. Précédent dangereux : même si, à ma connaissance, la loi n’a été que peu utilisée, tout élève s’opposant à un prof peut se voir considéré comme délinquant. Cette loi de 2002 marque le début d’une judiciarisation des relations à l’intérieur des établissements scolaires : plutôt que de régler les problèmes en interne, par la parole, la discussion, la prise en considération du point de vue des uns et des autres, ce qui, me semble –t-il, constitue l’un des fondements de l’éducation, on préfère en appeler à la justice dont ce n’est pas le rôle. Certes, jusque là, c’est l’élève qui était visé lorsqu’il sortait de son rôle. Mais pourquoi faudrait-il que le recours au tribunal se fasse à sens unique, lorsque l’élève est dans son tort et jamais lorsque l’enseignant peut l’être ? Si l’élève qui frappe un prof est sanctionnable, la réciproque ne l’est pas moins, comme par exemple, l’a montré la décision du tribunal dans l’affaire de Berlaimont. Le recours à la justice et les dérives qu’il engendre risquent fort de se généraliser, puisque par dogmatisme, en privilégiant encore et toujours l’effet d’affichage, le gouvernement s’enferme dans une voie qu’on sait sans issue. Il y a quelques mois, lors de la signature d’un énième protocole Education/Justice, Dati plastronnait devant un Darccos bombant le torse : « pour les mineurs, j’ai posé un principe clair : une infraction, une réponse pénale. » Pour les mineurs seulement ? Et lorsque les adultes sont en infraction ?
La rigidité, la raideur des relations profs/élèves sont caractéristiques du système éducatif français, souvent remarquées par des élèves étrangers ou qui ont fait une partie de leur scolarité à l’étranger. Pour une bonne part, la raison en est à rechercher dans la faiblesse de la formation des enseignants pour tout ce qui touche à la psychologie de l’élève comme à la gestion des groupes. Le projet Darcos sur la masterisation des profs n’est pas de nature à améliorer les choses. Sans être grand clerc, on peut prédire que ce sont les élèves mais aussi les profs qui feront les frais du manque de courage et de lucidité des décideurs.