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Journal d'école
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10 novembre 2008

11 novembre à l'école : "détrousseurs de cadavres et imposteurs"

Le débat public sur les commémorations historiques ne semble pas prêt d’atteindre l’Education nationale, coincée dans sa rengaine guerrière et patriotique. Pour le 11 novembre 2008, la traditionnelle circulaire ministérielle (BO, 22/06/2008) reprend les lourdes injonctions de Sarkozy sur le « devoir de mémoire » et les lieux communs sur les « combattants morts pour la France ». Les partenaires privilégiés par l’administration pour sensibiliser les jeunes à cette période de l’histoire sont recherchés exclusivement du côté des autorités militaires (ministère de la Défense) ou des anciens combattants, dans les rangs desquels dominent très majoritairement les combattants d’Algérie et d’Indochine dont l’omniprésence dans les écoles, lorsqu’il s’agit de mémoire, devrait quand même inquiéter les enseignants.

Au niveau local, par exemple dans la Meuse, les projets mis en place dans les écoles primaires par l’Inspection académique, sous couvert d’historicité, d’activité pédagogique, relèvent, au mieux, de la dissimulation et le plus souvent de la manipulation la plus grossière. Ainsi à Commercy, des élèves de CM, soigneusement encadrés par les anciens combattants, visitent les tranchées (on a déblayé les cadavres), apprennent à différencier les uniformes (ils les ont même portés pour faire plus réaliste) et découvrent les armes (on ne sait s’ils se sont exercés à leur maniement). Bien sûr, ils chantent la Marseillaise et si personne n’a – du moins pour le moment – pensé à rétablir les bataillons scolaires, à Verdun, on fait écrire à des enfants de CP des poèmes sur le thème : « Si j’étais un soldat » ( !). Pour la trentaine d’écoles mises à contribution, la « mémoire » de la guerre se ramène à la visite de champs de bataille, de monuments aux morts, de cimetières militaires, d’enquêtes plus ou moins scabreuses sur l’équipement ou la vie quotidienne du soldat, de participation à des parades militaires, sans oublier, bien sûr, la lecture de la lettre du ministre. Commémoration entre ridicule et obscène, à laquelle nombre d’enseignants ne trouvent une fois de plus rien à redire.

Parce que s’il s’agit de mémoire, on aurait pu peut-être, tout bêtement, faire réfléchir les enfants aux causes de la guerre, toujours futiles en regard des résultats, leur montrer les souffrances, l’horreur des tranchées, la stupidité criminelle des chefs, prompts à sacrifier les hommes pour monter en grade, mais aussi les champs et les villes ravagés, le travail des hommes dévasté. Leur faire découvrir, aussi, ceux qui ne voulaient pas la guerre, et qui ont dû s’exiler (Romain Rolland) ou ceux qu’on collait au poteau d’exécution ou ceux qui fraternisaient avec « l’ennemi » et découvraient en « l’ennemi » leur semblable. Mais ne pas oublier, non plus, les larmes des orphelins. Leur parler, tout simplement, de paix plutôt que de gloire factice, de honte plutôt que d’honneur. Déshonorer la guerre plutôt qu’en faire la promotion. S’agit-il vraiment de « mémoire »  que l’on veut entretenir ou d’amnésie, d’aveuglement, devant ce qui reste la pire des monstruosités : la guerre ? Car si le souvenir d’une guerre ou d’un épisode dramatique de l’histoire doit avoir du sens, n’est-ce pas avant tout pour en empêcher le retour ? En 1994, alors que les enfants des écoles étaient réquisitionnés pour le 50e anniversaire du débarquement en Normandie, le Rwanda était la proie du génocide que l’on sait, avec la complicité des Grands de ce monde qui se pressaient sur les plages du débarquement. Pour qu’on n’oublie pas, comme on le prétendait alors ou plutôt pour détourner le regard de ce qui se passait pourtant sous nos yeux ?

Depuis 1918, les guerres n’ont jamais cessé, même si elles se sont déplacées, alimentées par le commerce des armes et les budgets militaires démentiels. Alors que le monde a dépensé l’an passé plus de 1200 milliards de dollars pour faire la guerre et que les prévisions de la France seule en équipements militaires pour les prochaines années avoisine les 200 milliards d’euros, comment croire à l’honnêteté des cérémonies commémoratives du 11 novembre ? A ces écoliers de la Meuse et d’un peu partout, manipulés par des adultes inconscients ou malhonnêtes, dans des commémorations qui en viennent à glorifier la guerre, il faut surtout montrer que la guerre – malgré les parades, les hymnes, les discours de tous les « détrousseurs de cadavres et imposteurs » - n’a jamais d’excuse, qu’elle n’est jamais belle, qu’elle n’est jamais un jeu. Il faut leur rappeler, avec Prévert : « Quelle connerie, la guerre. »

[photo Nick Ut]

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Commentaires
T
Et le vent, on connaît !<br /> Les girouettes, par contre : on s'en fout !<br /> <br /> Théo
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L
La doctrine militaire de la France dans les années 30 n'était nullement "pacifiste", elle était obsolète. Ce qui n'empêchait pas l'armée d'être ruineuse pour le contribuable, en pure perte comme on le sait...un peu comme aujourd'hui.<br /> Pour ce qui est de Sarkozy, il était, il n'y a pas si longtemps, farouchement opposé à toute idée de réhabilitation des mutins. C'est une girouette qui tourne avec le vent, c'est tout.
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T
vers une réhabilitation des mutins de 17...<br /> <br /> http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/11/11/un-11-novembre-particulier_1117148_3224.html#ens_id=1116812<br /> <br /> je sens que vous n'allez pas en parler, ca ferait trop mal d'être pour une fois d'accord avec Sarko :)
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T
"belliciste... elle dépensait des sommes énormes pour son armée"<br /> <br /> Je vous rappelle (on se demande parfois qui est le spécialiste en histoire ici) que l'état major a bien rigolé au nez de de Gaulle qui pronait le développement des chars pour faire face au réarmement allemand. La politique était défensive, ne jurant que par la "solidité" de la ligne Maginot. Personne n'était belliciste, le consensus étant plutôt au "plus jamais ça", si bien que seule une poignée de justes sont allés prêter main forte aux républicains espagnols contre les franquistes... <br /> <br /> je vous l'accorde, ce n'était pas du pacifisme, c'était de la lâcheté. Ca n'excuse pas de relire l'Histoire avec vos œillères et votre constant parti-pris puéril.
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L
Mon allusion au Rwanda ? Pendant qu'on célébrait le débarquement en Normandie, l'armée française et les autorités politiques étaient largement impliquées dans le génocide.<br /> Si le rôle des armées était de "faire cesser les massacres", y aurait-il besoin de dépenser des sommes monstrueuses alors qu'il est évident qu'elles n'y parviennent pas ? La bombe atomique est-elle une arme à destinée à "faire cesser des massacres" ? <br /> Assimiler Munich au pacifisme relève du sophisme et d'une grande méconnaissance du passé : le pacifisme consiste à mener dans tous les domaines une politique qui assure la paix. La France de Munich était nationaliste, belliciste, colonialiste, elle dépensait des sommes énormes pour son armée. Ce n'est pas vraiment la définition du pacifisme.<br /> Quant au "pacifisme de gauche", je ne vois pas trop de quoi il s'agit ; la gauche contemporaine avec des gens comme Chevènement ou Royal est très éloignée de l'idéal pacifiste...
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