Zélés délateurs
Juste avant les vacances, j’ai dû m’interposer sur la cour de récré entre deux élèves qui en venaient aux mains pour je ne sais trop quelle raison. L’affaire était gravissime puisqu’ils parlaient de « se buter » l’un l’autre. Je n’ai pas trop de mérite : les élèves étaient du genre poids plume et la simple présence du prof les a séparés. Affaire réglée en deux minutes. Dans le langage collégien, « se buter » ne signifie pas grand chose, juste qu’on est en colère et qu’on ne sait pas comment la dire autrement ; rien à voir avec la définition du Robert qui y voit une menace de mort avec arme. Mais on peut penser que le Robert n’a pas encore force de loi dans la vie quotidienne. Peut-être plus pour très longtemps car si, en fonctionnaire obéissant, j’avais appliqué à la lettre les instructions officielles, j’aurais fort bien pu dénoncer mes deux petits bagarreurs à la police qui n’aurait pas manqué de les déférer au procureur avec mise en examen à la clé pour « menaces de mort ». J’exagère sans doute. Il n’empêche que les événements des dernières semaines au lycée Joliot-Curie de Nanterre laissent songeur. Un conseil de discipline qui tourne mal, un élève exclu, des délégués qui se laissent emporter et se retrouvent en garde-à vue suite à la plainte de la proviseure et un procureur qui ne craint pas le ridicule en ouvrant des poursuites contre les lycéens en question. « On va cramer le lycée », aurait menacé une lycéenne. En prenant le mot au pied de la lettre, la proviseure, appuyée par le recteur d’académie, s’aligne sur la politique prônée par Darcos-Dati qui consiste à traiter comme délit tout écart à la norme. Jusqu’à sombrer dans le ridicule le plus profond. Une des élèves concernées a d’ailleurs reconnu :« ...nous avons réagi avec l’émotion (...) « Cramer le lycée » signifie simplement que tous les élèves seraient mobilisés » (Libé, 30/12/2008). Face à cet emportement, un peu de retenue, de bon sens tout simplement, de la part des adultes, auraient probablement permis de trouver une issue satisfaisante, au lieu de quoi on est forcé depuis hier de faire appel à la police pour assurer la rentrée des élèves. La judiciarisation des rapports sociaux (plus de 600 000 gardes-à-vue pour la seule année 2008) n’épargne pas l’école. On a vu dernièrement, à propos du cannabis, de brutales intrusions policières dans les établissements. On en viendrait à croire que certains chefs d’établissement se sont donné pour mission de conforter la campagne menée par le gouvernement contre les jeunes : la mise en cause des trois lycéens de Nanterre aura surtout pour effet de gonfler les statistiques policières censées conforter les projets de Dati contre la justice des mineurs. Des chefs d’établissement qui, en se mettant consciemment ou non, par conviction ou par trouille, au service du pouvoir politique, laissent piteusement tomber leur fonction d’éducateur, la seule, pourtant, qui soit légitime.