La dictée et après ?
Une fois n’est pas coutume, je vais dire quelques mots de mes élèves, les petits 6e plus précisément, qui ont fait il y a quelques jours une évaluation de géographie sur l’homme dans les régions chaudes. « La nature n’est rien sans le travail des hommes ; les hommes ne seraient rien sans la nature » : sur ce thème, en utilisant les connaissances acquises pendant les cours, ils devaient rédiger un petit texte montrant qu’ils avaient compris l’interaction entre les activités humaines et le milieu naturel. Ils s’en sont ma foi plutôt bien sortis, sur un sujet qui nécessitait en plus des savoirs, de la réflexion et des capacités d’expression écrite. Ce sont ces dernières qui, d’ailleurs, ont posé le plus de problèmes avec en particulier, non pas tant des fautes d’orthographe que, chez les plus faibles, des difficultés à verbaliser. Cette évaluation est intervenue alors que tombaient avec la dernière étude de la DEP et la nouvelle croisade de Sauvez les lettres, sponsorisée par le Figaro, les sempiternelles lamentations sur « la baisse de niveau », censée confirmée par le nombre de fautes dans une dictée. Et pourtant...
Si les fautes de français dans le travail de mes élèves sont assez nombreuses – souvent d’ailleurs, causées par l’inattention puisque les élèves sont en mesure de les corriger d’eux-mêmes dans un second temps, détail d’ailleurs curieusement négligé par les statisticiens de la dictée dont la grande préoccupation se limite à comptabiliser le nombre de fautes – il est mal venu de dénoncer pour ce seul fait une baisse de niveau alors que les capacités qu’ils ont développées dans l’exercice sont au contraire le signe d’aptitudes certaines et d’un « niveau » - pour reprendre le poncif favori des déclinologues – bien supérieur à celui des décennies écoulées. Aujourd’hui des élèves de 11-12 ans ne sont nullement déroutés par une réflexion sur l’homme et la nature quand les compétences requises chez des écoliers de leur âge – et même de plus âgés, le certificat d’études se passant à 13-14 ans - sous la IIIe République consistait à énumérer la liste des sous-préfectures ou des fleuves. A bien y regarder, qui parmi les adultes si prompts à s’inventer après coup une scolarité de rêve, serait en mesure de rédiger une quinzaine de lignes bien pensées sur les relations entre l’homme et la nature dans le milieu tropical ?
En matière éducative, la grande réussite – et la grande supercherie - des traditionalistes aura finalement consisté à faire passer la dictée pour la référence absolue du niveau scolaire. Consécration pourtant frauduleuse pour une épreuve qui ne dit pas grand chose d’un élève, de ses difficultés ni des remédiations possibles. A l’époque de Jules Ferry, des inspecteurs dénonçaient l’abus de dictée et la paresseuse tendance de certains maîtres à se reposer sur un exercice dont l’utilité ne leur paraissait pas si évidente que cela. Paresseuse, parce qu’effectivement, la dictée ne demande pas de gros efforts de la part de l’enseignant comme de la part des élèves. Pour l’école de notre époque, il est urgent de rechercher d’autres critères d’évaluation, d’autres références qu’un exercice finalement peu exigeant, historiquement daté, peu représentatif des compétences réelles d’un élève et encore moins susceptible de l’aider à progresser.
Avec les vacances de la zone A, Journal d’école prend ses quartiers d’hiver et quelques jours de vacances. Oui, je sais, cinq semaines entre les congés de Noël et ceux de février, c’est montrer bien peu de respect pour le rythme des élèves mais dans ce domaine comme dans tous les autres, c’est toujours le ministre qui décide. Bonnes vacances pour ceux qui en prennent. A bientôt.