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Journal d'école
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19 avril 2009

La Marseillaise à l'école, cache-misère des discriminations

Dans la lettre de mission qu’il vient de faire parvenir au ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, Sarkozy demande à Eric Besson « d’engager les actions permettant de valoriser les principes de la République et les valeurs fondamentales de notre communauté nationale (...), en renforçant la place des emblèmes et symboles de la République, des langues, de son drapeau, de son hymne, des valeurs contenues dans la devise « Liberté, égalité, fraternité » et de la Marianne qui les incarne, partout où cela s’avère nécessaire, dans les écoles et les lieux publics ». Sans oublier, bien sûr, 27 000 expulsions à réaliser avant la fin de l’année. L’école ou, du moins, sa haute administration, n’a pas attendu pour se plier à la volonté du chef de l’état dont on sait par ailleurs que les désirs sont des ordres. Ainsi, l’Académie de Créteil vient-elle, toutes affaires cessantes, d’ouvrir un portail entièrement dédié à l’apprentissage de la Marseillaise, ce que le recteur appelle une « mission fondamentale et fondatrice (...) », apprentissage qui doit « contribuer à la construction de la culture commune essentielle pour vivre ensemble ». Mais fondatrice de quoi, au juste  et comment un hymne suffirait-il pour préparer des enfants à « vivre ensemble » ? Après tout, si c’est une des justifications de l’école que d’intégrer un enfant à un groupe, à une collectivité, on ne voit pas pourquoi cette intégration devrait trouver son accomplissement, son achèvement dans le cadre étroitement borné et jamais défini d’une nation qui n’est jamais qu’un pointillé sur une carte, mais un pointillé générateur de peurs, de haines et de guerres.

La Marseillaise n’a jamais fait l’unanimité en France, pas seulement chez les nostalgiques de Chouannerie ou les joyeuses bandes qui la sifflent au stade de France. Même avec plus de deux siècles de recul, ces vers sinistres et ridicules mis dans la bouche d’enfants de 6 à 7 ans ont quelque chose d’indécent : « Q’un sang impur abreuve nos sillons (...) L’étendard sanglant est levé (...) Quoi ! des cohortes étrangères feraient la loi dans nos foyers ! Tout est soldat pour vous combattre. S’ils tombent, nos jeunes héros, la terre en produira de nouveaux  etc etc ». Par quelle perversion peut-on justifier l’apprentissage forcé par de tout jeunes enfants de telles obscénités alors que tous les jours, des enfants meurent de la guerre ?  Gênés aux entournures par la rhétorique brutale et guerrière de l’hymne national, ses défenseurs cherchent à s’en sortir par de doctes exégèses ou de savantes analyses philologiques et historiques se référant à l’époque révolutionnaire. Ainsi, pour le rectorat de Créteil « enseigner l’hymne national est indissociable de l’enseignement de son histoire pour comprendre que ce chant est d’abord un hymne à la République et à la liberté. Repoussé par l’Empire, puis la Restauration, ce chant est fondamentalement un chant de défense de la République et de ses valeurs(...) C’est justement pour éviter un apprentissage décontextualisé, et donc porteur de contresens et d’interprétations erronées, que les programmes insistent sur l’inscription de cet hymne dans son contexte historique. »

Contresens et interprétation erronée dans lesquels l’Education nationale se jette pourtant tête baissée avec une approche partielle et partiale d’un épisode historique, parfaitement illégitime lorsque l’on touche aux programmes scolaires : faire semblant d’oublier que la Marseillaise n’est nullement contemporaine de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou de l’abolition des privilèges mais de la Terreur, de la guillotine et de la guerre, débouche sur une grossière confusion historique. Plus précisément, chercher à faire d’un événement du passé un mythe fondateur conduit à élaborer une histoire officielle, une histoire d’Etat, déconnectée des faits : quel historien aujourd’hui, oserait se livrer à une interprétation univoque de la Révolution française, qui négligerait l’imposante recherche historiographique sur cette période ? Faire une place à part à la Révolution, refuser de la soumettre au questionnement, à la critique légitime en histoire ne peut qu’embrouiller la conscience des élèves, autrement dit la manipuler. Mais la nation et les oripeaux symboliques dont elle s’affuble sont si peu sûrs de leurs fondements qu’il a fallu créer, pour les préserver de la critique, un inénarrable délit d’ « outrage aux symboles nationaux », passible de six mois de prison et de 6500 euros d’amende. En donnant une nouvelle jeunesse au blasphème par lequel l’Ancien régime prétendait protéger le catholicisme, le législateur républicain s’accroche de façon irrationnelle à un dogme, une sorte de vérité révélée qui n’a pas sa place dans une société qui s’affiche laïque et respectueuse de la liberté de conscience. Le recteur de l’Académie de Créteil oublie sans doute que le développement de l’esprit critique est une des exigences du socle commun de connaissances et de compétences intégré aux programmes scolaires : « les élèves devront être capables de jugement et d’esprit critique, ce qui suppose : savoir évaluer la part de subjectivité dou de partialité d’un discours (...), savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité (...) ». Où est le rationnel et l’esprit critique lorsque la Marseillaise fait office de prière obligatoire ?

Si la Marseillaise a, de tous temps, fait partie des programmes scolaires, le renforcement de son apprentissage par injonctions administratives n’est d’ailleurs pas innocent. Surtout lorsque ces injonctions proviennent d’un ministère qui, par un saisissant raccourci, cumule dans ses attributions l’identité nationale, l’intégration et l’immigration, ce qui conduit, par exemple, à faire chanter la Marseillaise à des enfants au garde-à-vous alors que, dans la classe d’à côté, la police vient embarquer un petit camarade dont le seul tort est d’être sans-papiers. Curieuse conception du « vivre ensemble »... S’il s’agit d’intégrer, comment alors justifier que plusieurs millions d’individus qui travaillent en France et contribuent à la richesse commune continuent d’être privés du plus élémentaire des droits civiques : le droit de vote ? Comment justifier les arrestations arbitraires, le plus souvent au faciès, les rafles brutales, par exemple contre les Roms et les camps de rétention ? Dans un récent rapport, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) rappelle que le nombre d’emplois fermés aux étrangers s’élève à sept millions en France l’Etat lui-même donnant le mauvais exemple en refusant d’ employer les étrangers dans la majorité des entreprises publiques. Face à une société minée en profondeur par les inégalités, les injustices, les discriminations, la célébration des symboles nationaux, en détournant l’attention de ces réalités, en donnant l’illusion d’un égalitarisme de façade, de valeurs communes, apparaît en fait comme le cache-misère de la discrimination.

Il est de bon ton, depuis quelques années, de dénoncer le communautarisme ou les tentations de repli  sur soi dont l’école serait le théâtre, pour y opposer une sorte d’universalisme prétendument républicain. On peut douter que l’exaltation de la nation - qui n’est à vrai dire qu’une autre forme de communautarisme – ou les incantations solennelles soient la réponse la plus appropriée. La Marseillaise n’a sa place dans l’enseignement que comme un objet d’étude parmi d’autres, pas de vénération.

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Commentaires
T
je cite Lubin "Mais fondatrice de quoi, au juste et comment un hymne suffirait-il pour préparer des enfants à « vivre ensemble » ?"<br /> <br /> Je ne vois pas quoi un hymne serait plus inefficace, contre-productif et irritant que tous les discours creux, les injonctions lénifiantes et autres chantages affectifs et moraux qu'on inflige à longueur d'ondes et d'articles sur le chouette vivre ensemble, le super métissage, le génial mélange, le ouais cool multiculturalisme, le top délire respect des "autres cultures".<br /> <br /> Quitte à nager dans un marécage gluant de bonnes intentions culpabilisantes, autant en boire jusqu'à la lie... une propagande de plus ou de moins...
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T
sauf que pour vous, Lubin, le SEUL communautarisme condamnable est le sentiment patriotique français. Tous les autres (la négritude, la solidarité palestinienne, la fierté d'être basque, la judéité, la germanophilie, l'âme russe etc etc) sont culturels, normaux, acceptables, etc etc... SAUF cette maudite "identité française" qui, je vous le concède, COMME LES AUTRES mais PAS PLUS que les autres, est une construction mentale, sociale et politique.<br /> <br /> Simplement, allez un peu dire à un arabe, un rom, un juif, un corse, un "jeune de banlieue" qu'il n'a pas être fier de son identité, que c'est dans sa tête, et vous vous ferez recevoir. Le sentiment d'appartenance aux "pointillés" de la France est le seul sur lequel vous pouvez sans grand risque, et même en passant pour iconoclaste et rebelle, cracher dessus. Pour l'instant...
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