Une brutale sanction politique
« Jusqu'à ce jour, les sanctions, aussi disproportionnées soient-elles, ne nous ont pas fait reculer. Elles ont au contraire suscité un élan de sympathie dans l'opinion publique que le pouvoir aurait tort de mésestimer. De nombreux enseignants du primaire qui n'ont jamais accepté ces réformes destructrices sans pour autant les contester trop ouvertement se sont montrés solidaires, y compris financièrement, et nous ont encouragés à ne pas céder. Nous avons également le soutien massif des parents de nos élèves et cela est décisif. C'est pourquoi, à titre personnel, je ne regrette rien et surtout je ne me sens « coupable » de rien. Mettre ses actes en cohérence avec ses pensées est certainement ce qu'il est donné de vivre de meilleur, surtout dans notre noble métier. C'est une action juste, motivée en conscience, au service de l'intérêt général et non pas de notre « confort » corporatiste. Collectivement, nous pouvons être fiers d'avoir impulsé un mouvement qui porte l'exigence d'une révolte éthique et professionnelle conjuguée à un esprit de responsabilité et d'honnêteté que personne, aucun pouvoir, ne pourra briser. »
Alain Refalo s’exprime sur la répression brutale dont il est la cible. Son texte intégral est à lire ici.
Avec un abaissement d’échelon, c’est une sanction particulièrement lourde qui a été prise à l’encontre d’Alain Refalo, enseignant désobéisseur de Haute-Garonne. « S'ajoutant à la promotion qui lui a été refusée au mois de février, et indépendamment des 19 jours de salaire qui lui ont déjà été soustraits, cette sanction représente pour les quatre ans qui viennent une perte d'au moins 7000 euros, alors qu'Alain Refalo a effectué l'intégralité de son service devant les élèves et que les rapports pédagogiques de ses inspecteurs sont élogieux », précise son comité de soutien.
Cette décision dépasse largement la question de l’aide personnalisée et du soutien aux élèves en difficulté. Alain Refalo s’explique : « cette action de désobéissance pédagogique qui s'est essentiellement cristallisée sur le dispositif de l'aide personnalisée a permis à des milliers d'enseignants du primaire d'en montrer toute la perversité et l'inefficacité tout en ayant une attitude responsable vis-à-vis des élèves en difficulté. Nous avons mis en lumière que ce dispositif en trompe-l'œil n'était pas destiné en réalité à aider les élèves qui en avaient le plus besoin, mais qu'il permettait au ministère de justifier la disparition de milliers de postes d'enseignants spécialisés du RASED, de supprimer deux heures de classe pour la majorité des élèves, de favoriser la semaine dite de quatre jours que tous les spécialistes considèrent comme néfaste pour le bien-être de l'enfant et de renoncer à déployer une formation pédagogique à la mesure des difficultés que tous les enseignants rencontrent aujourd'hui ».
Outre le « refus d’obéissance », les motifs d’accusation - « manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Education nationale » – sortent du cadre strictement professionnel et remettent en cause l’exercice des libertés individuelles et politiques. Le message adressé aux enseignants est clair : la critique de la politique gouvernementale est désormais considérée comme une faute professionnelle et punissable comme telle. Il faut remonter très loin dans l’histoire pour voir un enseignant puni pour ce qui ressemble à un délit d’opinion.
On ne peut s’empêcher de mettre en parallèle cette sanction brutale prise contre un enseignant compétent mais contestataire, avec les recompenses généreusement distribuées par le ministre de l’Education nationale à ses thuriféraires comme par exemple à Brighelli, qui, le 14 juillet dernier, s’est vu décerner la légion d’honneur. Ce professeur agrégé, le plus médiatique des contempteurs de la pédagogie, s’est rendu célèbre depuis quelques années par ses bruyantes critiques contre les réformes tentées dans l’Education nationale depuis une quarantaine d’années. Ses prises de position, approximatives et caricaturales, ont largement inspiré le grand retour en arrière voulu par Darcos pour l’école primaire. Quelques semaines plus tôt, Darcos en personne avait décoré de l’Ordre du mérite Marc Le Bris, autre représentant emblématique de l’école en blouse grise. Honneurs et récompenses pour les uns, répression brutale pour les autres.
Toute une mouvance traditionaliste qui a pignon sur rue n’a d’ailleurs jamais fait mystère de son refus d’appliquer les consignes officielles lorsqu’elles ne lui convenaient pas : détournement des heures de vie de classe ou d’éducation civique, sabotage des travaux personnels encadrés en lycée ou des itinéraires de découvertes en collège, abandon de la politique des cycles voulue par la loi d’orientation de 1989, ce ne sont là que quelques exemples d’initiatives pourtant en leur temps règlementaires mais ouvertement torpillées sans qu’aucune sanction n’ait jamais été prononcée.
La lourde sanction prise contre Alain Refalo est une mesure éminemment politique : dans la perspective d’une rentrée difficile, il s’agit pour le gouvernement d’étouffer la contestation, de faire peur. C’est un signal fort adressé à tous ceux qui attendaient du nouveau ministre autre chose qu’une politique imposée sans concertation avec un réel mépris pour la profession. Sa brutalité hors de proportion avec les faits reprochés, typiquement sarkozyenne, est un nouvel avatar de l’autoritarisme manifesté en matière éducative au cours des dernières années : après les élèves, ce sont maintenant les enseignants qui en sont la cible.