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Journal d'école
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6 décembre 2009

"Sauver l'histoire" : est-ce vraiment le problème ?

La levée de boucliers contre le projet de rendre optionnel l’enseignement de l’histoire en terminale S, dans le cadre de la réforme des lycées, suscite deux types d’observations.

Bien que le texte accouché par le ministère se réduise à quelques ajustements techniques qu’on aurait du mal à qualifier de réforme, les mesures envisagées se heurtent une nouvelle fois à la logique disciplinaire qui n’est pas, loin s’en faut, une logique éducative. Alors que le second cycle se caractérise par un emploi du temps surchargé et par la lourdeur des programmes, il faudra qu’on nous explique comment on peut réformer le lycée - en essayant, notamment, de donner une certaine substance à l’accompagnement personnalisé - en ne touchant ni aux quotas horaires attribués à chaque discipline ni aux emplois du temps. Conserver tel quel l’enseignement de l’histoire équivaut à amputer l’horaire de français, de math, de sport, à rogner davantage encore la culture scientifique, toutes choses dont la légitimité n’est pas inférieure à celle de l’histoire. Les protestations ne seraient-elles pas le signe qu’on se refuse à toute réforme du bac et qu’on s’accomode fort bien, finalement, du lycée tel qu’il est ?

Pour les initiateurs de « l’appel des vingt » (au passage, on ne comprend pas quelle nécessité a poussé les dix-neuf à rechercher la signature de Finkielkraut...), qui mettent le projet Chatel en regard du débat Besson sur l’identité nationale, la mesure envisagée « va priver une partie de la jeunesse française des moyens de se faire de la question une opinion raisonnée grâce à une  approche scientifique et critique, ouvrant ainsi la voie aux réactions épidermiques et aux jugements sommaires ». Tout cela est bien imprudemment écrit : car les « réactions épidermiques » et les « jugements sommaires » ne sont-ils pas, justement, le fait de ceux qui s’expriment aujourd’hui, notamment sur le forum ouvert pour la circonstance et qui, tous, ont connu un enseignement de l’histoire à plein temps, depuis le primaire jusqu’au lycée ?  Il suffit d’ailleurs de voir la quantité de références historiques – Jeanne d’Arc, Clovis, et beaucoup d’autres – qui émaillent ce forum pour se rendre compte des dérives idéologiques que l’histoire peut engendrer. L’histoire, ou, plus exactement, sa traduction scolaire qu’on appelle communément l’histoire à l’école. En appeler aux valeurs citoyennes et critiques de la discipline historique, c’est oublier un peu vite que l’histoire telle que l’enseigne l’école, notamment l’école primaire, tourne encore autour de l’impérieuse nécessité de « faire naître chez l’enfant  une conscience nationale » (la formule est de Chevènement) et qu’à ce titre, elle n’est probablement pas étrangère aux « réactions épidermiques », aux «jugements sommaires » qu’on feint de redouter. De la conscience enfantine formatée par l’histoire nationale aux préjugés xénophobes et racistes, le lien est sans détour. Les historiens, qui s’expriment dans l’appel des vingt et pour certains desquels on a le plus grand respect, n’ont pas montré semblable véhémence à l’encontre des programmes Darcos de 2008, potentiellement plus dangereux pour la mémoire et la formation du citoyen - parce que touchant tous les enfants à un âge où ils sont encore très malléables - que la suppression de quelques heures d’histoire en terminale.

Lorsque Pierre Milza dénonce « une régression formidable qui pourrait concourir à une amnésie générale », il escamote le fait – défaut regrettable mais assez courant dans la corporation des historiens – que l’histoire scolaire, lorsqu’elle faisait silence sur la colonisation ou la collobaration, sur les croisades ou sur tout autre thème qui mettait à mal le roman national, était précisément le vecteur privilégié de cette « amnésie générale ».

Au cours de  la Première guerre mondiale, des millions de jeunes sont morts dans les tranchées, de la façon la plus stupide et la plus inutile qui soit, parce que, écoliers, il avaient été gavés d’histoire, une histoire certes partielle et partiale qui leur faisait voir au-delà des frontières des étrangers, des ennemis, plutôt que des êtres humains. Face aux égarements idéologiques dans lesquels elle s’est longtemps fourvoyée – mais cette période est-telle vraiment révolue ? - on en viendrait parfois à rêver que l’histoire n’eût jamais été enseignée.

C’est un prof d’histoire qui écrit ces lignes...

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Commentaires
T
"’histoire scolaire, lorsqu’elle faisait silence sur la colonisation ou la collobaration"<br /> <br /> Lubin, peut-être que votre précepteur babacool ou que l'école Freynet, ou la secte sous couverture d'école privée où vous étiez ne vous a pas donné de cours d'histoire. Moi j'ai été à l'école publique, et même celle d'après 1989, et je peux vous dire que la colonisation, la collaboration, la guerre d'algérie, bref toutes les taches sombres de l'histoire de france, on les a abordé, on en a même bouffé. Et je vais vous dire : ca m'a appris la complexité du monde, de l'histoire, et ca ne m'a pas empêché maintenant d'être plutôt patriote.<br /> <br /> Donc si vous voulez que tout cela soit enseigné ad nauséam pour dégouter les jeunes de la France et en faire des citoyens du monde, ben je vous dis : ca marche pas automatiquement !<br /> <br /> Que vous n'aimiez pas l'idée de faire partie d'une communauté nationale, tant pis pour vous, mais ne cherchez pas des arguments fallacieux en disant que l'école n'apprend pas les horreurs commises par nos pères. C'est faux, et vous êtes malhonnête.
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M
J'ajouterai deux autres conséquences dramatiques de l'histoire scolaire :<br /> - la Révolution (avec un grand R) : on nous en a appris des textes magnifiques, mais sans les relativiser par l'histoire de la liberté ailleurs, notamment en Angleterre, et on nous a dit que ces textes équilibraient, et au delà, les massacres qui ont commencé le 14 juillet 1789 et qui ont continué bien au-delà d'octobre 1917. Le passage des Misérables, où quelques belles paroles fustigeant un régime qui était loin d'être le pire mènent à la mort une poignée d'étudiants, me paraît illustrer le danger de cet enseignement.<br /> <br /> - dans beaucoup de pays du Sud, dont certains pays musulmans, une scolarisation de qualité très variable a généré un enseignement de l'histoire, directement ou via les cours de religion et d'autres disciplines, générateur d'hyper nationalisme et d'agressivité vis-à-vis des citoyens « non conformes » et du monde extérieur.<br /> <br /> Après avoir dit ça, j'avoue être le premier à regretter la méconnaissance de l'histoire lorsque j'entends telle ou telle énormité.
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L
@profdelettres<br /> <br /> Que vous vous sentiez "français" ne me pose à moi aucun problème. Acceptez de votre côté que pour moi comme pour d'autres, la notion d'identité nationale soit vide de contenu et de sens. C'est relativement simple. Vouloir imposer à tous ce qui relève d'une croyance individuelle est une forme d'intolérance.
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L
@Meles<br /> <br /> Je ne parlais des pétainistes qu'en réponse à une observation sur les résistants. Personnellement, je ne suis pas spécialement obsédé par le sujet...
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M
"Manifestement, le conditionnel suivi d'un plus-que-parfait du subjonctif auront échappé à mes interlocuteurs..."<br /> <br /> Manifestement, le sens du terme fantasme vous a échappé.<br /> <br /> "Quant aux résistants, il faut quand même reconnaître qu'ils ont été beaucoup moins nombreux que les 40 millions de pétainistes..."<br /> In cauda venenum: le retour de la Sippenhaft historique.
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