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Journal d'école
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7 février 2010

Quand l'histoire en collège oublie ceux qui l'ont faite

« Mais, monsieur, pourquoi le pharaon était-il si riche ? ». A cette question posée ingénument mais néanmoins légitimement par un élève de 6e, il n’y aura pas de réponse, du moins pas de réponse officielle dans un cours d’histoire en collège : les nouveaux programmes d’histoire de collège sont muets sur la crue du Nil et le travail des paysans, sans lesquels les pyramides n’auraient pourtant jamais vu le jour. Mais un élève de 11 ans n’est pas censé comprendre qu’avant le pouvoir du souverain et les œuvres d’art, il y a, toujours, le travail du « petit » peuple et les richesses qu’il dégage. Chose curieuse : alors que dans l’histoire des hommes, le travail de la terre est, jusqu’à une époque récente, la source principale, quand ce n’est pas quasi-unique, de l’accumulation des richesses, les paysans sont totalement ignorés des programmes scolaires, jugés peu dignes, sans doute, de compter au nombre des « acteurs de l’histoire », titre que les auteurs des programmes réservent sans l’ombre d’une hésitation, aux « grands personnages », comprenez les chefs politiques et militaires. Durant toute leur scolarité en collège, les élèves n’auront droit qu’à une fugitive apparition du monde rural, en classe de 5e, dans le cadre de la seigneurie féodale.

Simple négligence ou choix idéologique ? On penchera plus volontiers pour la seconde hypothèse si l’on veut bien considérer que les travailleurs manuels sont totalement absents des programmes, comme si l’on voulait les faire disparaître de la mémoire collective. Les « ouvriers et ouvrières de la Belle Epoque » sont rapidement mentionnés en classe de 4e, parce qu’il est effectivement difficile de faire autrement mais c’est tout. Si les travailleurs se font discrets au point d’en être invisibles, il n’en va pas de même pour l’entreprise qui fait une entrée remarquée dans les programmes : parmi les capacités demandées aux élèves de 3e – âgés de 14 ans - il est demandé de « décrire et expliquer l’évolution des formes de production, de la dimension familiale à la firme multinationale ». Les élèves de 5e, quant à eux, doivent se glisser dans la peau d’une « famille de banquiers ou de marchands ». On peut se demander si la volonté de gommer toute dimension sociologique des programmes de SES, en lycée, n’est pas déjà à l’œuvre avec les programmes d’histoire de collège et si, comme on a pu l’écrire, « le chômage disparaît du programme de SES » (Rue89, 26/01/2010), l’histoire des travailleurs ne connaît pas le même sort. 

Les nouveaux programmes de collège – applicables depuis la rentrée 2009 – font la part belle à l’histoire étroitement politique : les régimes politiques de la France jusqu’en 1914 ou tout au long du 20e siècle, à décliner impérativement comme une longue litanie, occupent une place extravagante dans le cursus des élèves, sans qu’on se préoccupe sérieusement de ce qu’ils en maîtriseront. Le socle commun de compétences et de connaissances, joint à la loi d’orientation de 2006 insiste pourtant sur « la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève ». Qu’en est-il de cette recommandation quand les compétences attendues de ce dernier, à travers les instructions officielles, privilégient le « récit », en réalité la récitation, la répétition vide de sens : les élèves de 6e seront capables de « raconter l’épopée d’Alexandre, …le siège d’Alésia », en 5e de « raconter une journée de Louis XIV à la cour ». Il y a plus d’un demi-siècle, Pierre Goubert destinait son magistral « Louis XIV et vingt millions de Français » non pas aux historiens ou aux étudiants mais à un large public qui s’ouvrait ainsi à une compréhension du passé qui dépassait largement le cadre étroitement borné des « grands hommes » ou de l’histoire-batailles que les derniers programmes scolaires – dans la suite, d’ailleurs, de ceux du primaire - remettent au goût du jour. Si les auteurs affirment que leurs programmes « veillent à l’équilibre entre les différents champs de l’histoire », en réalité, l’histoire politique nationale – en dépit d’incursions homéopathiques en direction de civilisations étrangères » qualifiées de « mondes lointains » est surreprésentée. En aucune manière, ces programmes lourds et indigestes, qui, au passage, ignorent tout des capacités d’apprentissage des élèves, ne permettront à ces derniers de comprendre le monde dans lequel ils vivent, d’y trouver des repères. C’est pourtant là la raison d’être de l’enseignement de l’histoire.

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Commentaires
C
Excellent billet auquel je souscris (je l'ai en partie reproduit sur mon blog)<br /> <br /> Une minuscule correction néanmoins:<br /> <br /> la crue du Nil est abordée en 6ème. Voir Belin/6ème page 22<br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> Chris
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