Ciotti et Morano devraient lire Grosperrin
« 400 000 enfants qui ne vont pas à l’école », c’est à partir d’un chiffre hautement fantaisiste repris par Nadine Morano et la plupart des médias que le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti propose de sanctionner lourdement les parents d’élèves absentéistes. Un minimum de sérieux et de recherche des sources montrent pourtant une réalité très différente. Les sources, comme très souvent en la matière, sont à chercher du côté des publications de l’Education nationale. Ainsi, selon la Note d’information 10.08 d’avril 2010, le taux moyen d’élèves absentéistes, dans le second degré, qui se situait entre 2% et 6% selon les mois de l’année pour la période 2003-2007, varie entre 3% et 10% en 2007-2008, soit, précise la note, une légère augmentation après quatre années de stabilité. En primaire, le phénomène est à peine mesurable : 0,01% pour le public, moins pour le privé. Il faut aussi préciser que, selon les critères de l’Education nationale, un élève est considéré comme absentéiste à partir de quatre demi-journées par mois d’absences non régularisées, même s’il est présent dans l’établissement tout le reste du temps. On est donc très loin des « 400 000 enfants qui ne vont pas à l’école » claironnés par la secrétaire d’Etat à la famille pour affoler l’opinion publique.
On ne peut s’empêcher de rapprocher l’initiative bâclée et populiste du député des Alpes-Maritimes d’un travail autrement plus conséquent livré il y a quelques semaines par plusieurs de ses collègues, pourtant majoritairement UMP, dans le cadre d’une mission parlementaire sur l’application du socle commun de compétences et de connaissances au collège. Pendant plusieurs semaines, sous la conduite de Jacques Grosperrin, la mission a auditionné des enseignants, des chefs d’établissement, des parents, des membres de l’administration, des historiens, des chercheurs, des pédagogues, des responsables associatifs, en un mot, ils se sont attelés à une besogne qu’il est légitime d’attendre de tout parlementaire digne de ce nom. Le rapport qu’ils ont fourni, qui n’a probablement pas touché le grand public, est pourtant d’une autre tenue que les gesticulations du député Ciotti. Evoquant l’absentéisme, loin de stigmatiser les élèves ou d’accuser les familles défaillantes et négligentes, le rapport évoque le collège comme « lieu de souffrance et d’exclusion » (p.20) ; il rappelle une enquête bien connue de l’OCDE qui place la France au 22e rang sur 25 dans le domaine de la qualité de vie à l’école (p.51) : « notre Ecole – écrit le rapporteur – souffre d’un trop plein de manque de confiance et de stress des élèves ». Des initiatives locales visant à l’information des parents, leur implication dans la vie de l’établissement, réussissent à faire baisser sensiblement l’absentéisme, bien plus sûrement que des sanctions financières touchant les familles les plus modestes. Plutôt qu’à se défausser sur les familles, l’absentéisme doit conduire l’école à se remettre en cause, en tant que signe de l’échec scolaire, ce que confirme, d’ailleurs, la situation des lycées professionnels, là où le phénomène est statistiquement le plus préoccupant : ce n’est injurier personne, surtout pas les lycées professionnels, que d’affirmer que nombre d’élèves qui y arrivent traînent déjà derrière eux de longues années de souffrance scolaire que l’absentéisme est un moyen de faire oublier au moins momentanément. La note d’information mentionnée plus haut évoque d’ailleurs une autre responsabilité de l’Education nationale, induite cette fois-ci par les failles du système de remplacement : « en 2007-2008, pour l’ensemble des établissements, la part d’enseignement perdu en raisons d’heures d’enseignement non assurées s’établit à 5,5% » (p.4), un phénomène qui s’aggrave depuis deux ans suite à la politique de non remplacement des enseignants voulue par l’Education nationale… et approuvée par Eric Ciotti.
On doute qu’avant de déposer sa proposition de loi visant à supprimer les allocations familiales, ce dernier se soit astreint à prendre connaissance du rapport Grosperrin. La réussite scolaire du plus grand nombre n’est sans doute pas sa préoccupation. Plus vraisemblablement, élu d’une région où le vote d’extrême-droite fait lourdement sentir son poids sur la vie politique, son initiative doit être mesurée à l’aune du bénéfice qu’il en retirera au sein de cet électorat.