Manuels scolaires : le ministre écrit l'histoire de la libération de la Corse
A la rentrée 2012, les manuels d’histoire-géo de la classe de troisième devront obligatoirement mentionner la libération de la Corse en septembre-octobre 1943. C’est le ministre de l’Education nationale en personne qui est intervenu directement auprès des éditeurs, suite aux pressions répétées du député UMP de Haute-Corse, Sauveur Gandolfi-Scheit (AFP, 06/06/2010). Dans sa lettre au député, Luc Chatel s’engage à ce que « les équipes éditoriales mentionnent la libération de la Corse en octobre 1943 et puissent ainsi répondre à la légitime attente du monde combattant insulaire ». Cette intrusion du pouvoir politique dans l’écriture non seulement de l’histoire mais aussi des manuels scolaires n’est malheureusement pas la première. Après le vote d’un amendement sur les « aspects positifs de la colonisation », les caprices présidentiels sur les enfants de la Shoah ou sur Guy Môquet, les jérémiades répétées de certains parlementaires à l’encontre des éditeurs scolaires accusés de maltraiter la vérité historique (Journal d’école, 29/10/2008), cette nouvelle ingérence du ministre dans un domaine qui n’est pas de sa responsabilité fait problème. Car si l’élaboration des programmes nationaux est bien de son ressort, le travail de rédaction des manuels revient exclusivement à des enseignants, principalement de collèges et de lycées, ces fameuses « équipes éditoriales », sur lesquelles le ministre cherche à faire pression.
Les attendus mis en avant par l’élu corse prennent d’ailleurs certaines libertés avec la rigueur historique. Comme par exemple, cette citation de de Gaulle, lui-même fort peu rigoureux lorsqu’il affirmait à Ajaccio en octobre 1943 : « la Corse a la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de France », ce qui faisait sans doute grand plaisir aux Corses mais beaucoup moins aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, libérés presque deux ans plus tôt, en décembre 1941. Une approximation chronologique qu’on excuserait volontiers si elle n’était suivie d’une assertion ambigüe : « c’est bien ici qu’a démarré la libération de la France. Et sans l’aide directe des Alliés », poursuit le député Gandolfi-Scheit. S’agit-il d’un regard réducteur ramenant la Deuxième guerre mondiale et la question du nazisme à un épisode de l’histoire insulaire ou bien plutôt d’un raccourci discutable insinuant sans avoir l’air d’y toucher que la libération de l’Europe et la défaite du nazisme ne doivent pas grand-chose aux USA, à la Grande-Bretagne ou à l’Union Soviétique ? L’écriture de l’histoire et, a fortiori, la rédaction d’un manuel scolaire exigent une exactitude et une précision qui s’accommodent mal d’allégations approximatives.
Il est vrai également, que l’inscription de la libération de la Corse dans la mémoire scolaire permettrait peut-être d’effacer à peu de frais cette tenace image de racisme anti-arabe que l’île s’est forgée depuis quelques années, avec la complaisance plus ou moins affichée de ses élus. La commémoration prochaine de l’appel du 18 juin donnera à nouveau l’occasion aux politiciens, unanimes et pourtant pas irréprochables, d’instrumentaliser l’épisode du nazisme pour tenter de faire oublier leur responsabilité dans la montée des préjugés et des comportements racistes et xénophobes en France. Contrairement à ce que les collégiens de troisième seront peut-être poussés à croire, le racisme n’est pas mort avec la libération de la Corse en 1943. Ce serait trop simple.