Sanctions scolaires : un décret trop politique pour être honnête
Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) vient de rejeter à une très large majorité le projet de décret du ministère de l’Education nationale sur les sanctions disciplinaires à l’école, un projet bâclé mais hautement symbolique où le souci d’éducation disparaît derrière les préoccupations politiques à court terme du ministre.
Inspiré par les conclusions d’une commission dirigée par Alain Bauer, patron d’une société de sécurité et promoteur du concept de tolérance zéro, vendu à un certain ministre de l’Intérieur en 2002, ce décret manifeste une profonde ignorance des réalités éducatives. « Le règlement intérieur mentionnera désormais, sous forme de charte, les règles élémentaires de civilité et de comportement dans l'établissement » peut-on y lire. Il faut une bonne dose de mauvaise foi pour faire semblant d’ignorer que ces règles élémentaires sont déjà inscrites dans le règlement intérieur dont tous les établissements scolaires sont dotés de longue date et dont les possibilités d’application viennent justement de ce qu’ils ont été conçus par les équipes éducatives en place.
La même méconnaissance du sujet se reflète dans la systématisation des sanctions voulue par le décret, véritable hérésie dénoncée par les enseignants, les éducateurs mais aussi les parents qui savent par expérience qu’en la matière, seules l’individualisation des mesures, la prise en compte de la personnalité de l’élève, l’analyse des circonstances, peuvent s’avérer positives. Lorsqu’ils prévoient le déclenchement d’une procédure disciplinaire systématique en cas de violence verbale ou physique à l’égard d’un membre du personnel, les rédacteurs du présent décret ont dû oublier que ces agissements sont déjà passibles de six mois de prison et 7500 euros d’amende, pas moins, peines rajoutées au Code pénal depuis 2002 par des parlementaires persuadés que ce type d’annonces suffirait à éradiquer la violence à l’école. Des politiciens qui, avec huit ans de recul, n’ont toujours pas pris conscience que l’éducation ne se faisait pas avec un mouvement du menton.
L’incohérence et l’absurdité du décret – dont la parution ne fait aucun doute, l’avis du CSE n’étant que consultatif – sont encore renforcées par l’abandon de toute formation professionnelle pour les enseignants décidée par le gouvernement depuis la rentrée. L’approche de la discipline, de l’autorité, du rapport aux élèves, de la gestion de groupes, se trouve dorénavant réduite à un inénarrable concept de « tenue de classe », confié à un « philosophe », Yves Michaud et à Sébastien Clerc, un jeune enseignant complètement inexpérimenté mais bien en cour et dont l’inexpérience fait justement office de compétence en ces temps de déni populiste des compétences et des expertises. Dorénavant, visionner un DVD et consulter le portail internet du ministère, suffiront amplement pour apprendre aux nouveaux enseignants à « tenir » leur classe. Quant à faire la classe, il ne faut pas trop demander…
Ce décret, qui court-circuite toute analyse sérieuse sur les violences et les désordres à l’école au profit de la punition systématique est à replacer dans le contexte politique de ces derniers mois avec le retour sur les fondamentaux du sarkozysme ; il faut le considérer comme un élément du discours sécuritaire, redéployé de façon spectaculaire par le président-candidat dans l’optique des prochaines présidentielles. Omniprésent dans les médias, toujours à l’affût d’une annonce ou d’une communication nouvelles, Luc Chatel apparaît bien plus comme le porte-parole du gouvernement que comme le ministre en titre de l’Education nationale ; le service public d’éducation est désormais à la traîne des préoccupations politiques partisanes. Dans ces conditions, les décrets rédigés sans états d’âme par la haute administration, les décisions brutales imposées sans aucune concertation - sanctions pour les parents d’élèves absentéistes, criminalisation des déviances scolaires avec la création des ERS - relèvent davantage de la propagande politique que d’un souci bien pensé d’efficacité, ce qui entache singulièrement leur légitimité.
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