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Journal d'école
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2 octobre 2010

Sanctions scolaires : un décret trop politique pour être honnête

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) vient de rejeter à une très large majorité le projet de décret du ministère de l’Education nationale sur les sanctions disciplinaires à l’école, un projet bâclé mais hautement symbolique où le souci d’éducation disparaît derrière les préoccupations politiques à court terme du ministre.

Inspiré par les conclusions d’une commission dirigée par Alain Bauer, patron d’une société de sécurité et promoteur du concept de tolérance zéro, vendu à un certain ministre de l’Intérieur en 2002, ce décret  manifeste une profonde ignorance des réalités éducatives. « Le règlement intérieur mentionnera désormais, sous forme de charte, les règles élémentaires de civilité et de comportement dans l'établissement »  peut-on y lire. Il faut une bonne dose de mauvaise foi pour faire semblant d’ignorer que ces règles élémentaires sont déjà inscrites dans le règlement intérieur dont tous les établissements scolaires sont dotés de longue date et dont les possibilités d’application viennent justement de ce qu’ils ont été conçus par les équipes éducatives en place.

La même méconnaissance du sujet se reflète dans la systématisation des sanctions voulue par le décret, véritable hérésie dénoncée par les enseignants, les éducateurs mais aussi les parents qui savent par expérience qu’en la matière, seules l’individualisation des mesures, la prise en compte de la personnalité de l’élève, l’analyse des circonstances, peuvent s’avérer positives. Lorsqu’ils prévoient le déclenchement d’une procédure disciplinaire systématique en cas de violence verbale ou physique à l’égard d’un membre du personnel, les rédacteurs du présent décret ont dû oublier que ces agissements sont déjà passibles de six mois de prison et 7500 euros d’amende, pas moins, peines rajoutées au Code pénal depuis 2002 par des parlementaires persuadés que ce type d’annonces suffirait à éradiquer la violence à l’école. Des politiciens qui, avec huit ans de recul, n’ont toujours pas pris conscience que l’éducation ne se faisait pas avec un mouvement du menton.

L’incohérence et l’absurdité du décret – dont la parution ne fait aucun doute, l’avis du CSE n’étant que consultatif – sont encore renforcées par l’abandon de toute formation professionnelle pour les enseignants décidée par le gouvernement depuis la rentrée. L’approche de la discipline, de l’autorité, du rapport aux élèves, de la gestion de groupes, se trouve dorénavant réduite à un inénarrable concept de « tenue de classe », confié à un « philosophe », Yves Michaud et à  Sébastien Clerc, un jeune enseignant complètement inexpérimenté mais bien en cour et dont l’inexpérience fait justement office de compétence en ces temps de déni populiste des compétences et des expertises. Dorénavant, visionner un DVD et consulter le portail internet du ministère, suffiront amplement pour apprendre aux nouveaux enseignants à « tenir » leur classe. Quant à faire la classe, il ne faut pas trop demander…

Ce décret, qui court-circuite toute analyse sérieuse sur les violences et les désordres à l’école au profit de la punition systématique est à replacer dans le contexte politique de ces derniers mois avec le retour sur les fondamentaux du sarkozysme ; il faut le considérer comme un élément du discours sécuritaire, redéployé de façon spectaculaire par le président-candidat dans l’optique des prochaines présidentielles. Omniprésent dans les médias, toujours à l’affût d’une annonce ou d’une communication nouvelles, Luc Chatel apparaît bien plus comme le porte-parole du gouvernement que comme le ministre en titre de l’Education nationale ; le service public d’éducation est désormais à la traîne des préoccupations politiques partisanes. Dans ces conditions, les décrets rédigés sans états d’âme par la haute administration, les décisions brutales imposées sans aucune concertation - sanctions pour les parents d’élèves absentéistes, criminalisation des déviances scolaires avec la création des ERS - relèvent davantage de la propagande politique que d’un souci bien pensé d’efficacité, ce qui entache singulièrement leur légitimité.


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Commentaires
J
Pour contribuer au débat, il faut rappeler qu'à la rentrée scolaire 2000-2001, les EPLE ont du modifier leur règlements intérieurs par une réorganisation des mesures disciplinaires et ainsi se mettre en conformité avec les principes généraux du droit.<br /> Comme moi, les CPE ont alors pu jouer un rôle actif dans cette nouvelle organisation de la vie collective des EPLE.<br /> En dix années, tout se passe comme si nous étions passés d'une ambition "juridico-éducative" à une perspective presqu'exclusivement sécuritaire, ce qui pourrait s'apparenter à une forme de renoncement éducatif.<br /> Une société qui désespère (de) sa jeunesse tend à s'en protéger et la tentation est grande alors de l'enfermer pour mieux la contrôler. A la manière de H. Arendt, rappelons nous que les adultes qui éduquent assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde. L'adulte "bienveillant" protège parce qu'il "veille-sur" plus qu'il ne "sur-veille".<br /> Des adultes qui renoncent à éduquer se condamnent à n'être que d'irresponsables suicidaires.<br /> --------------------------------------------------<br /> LES TEXTES SUR L’ORGANISATION DES PROCEDURES DISCIPLINAIRES ET LE REGLEMENT INTERIEUR<br /> (B.O. SPECIAL N° 8 DU 13 JUILLET 2000)<br /> SOURCE : "Prévention de la violence et des conduites à risque" / Actes du Colloque académique / Nantes, 9 novembre 2000.<br /> <br /> <br /> Après la parution de ces deux textes (les procédures disciplinaires et le règlement intérieur), il y eut des réactions, des débats, des incompréhensions et parfois des rejets.<br /> <br /> Le contexte (plusieurs phénomènes) :<br /> • Augmentation significative des phénomènes de violence (relayée par les médias).<br /> • Augmentation très significative des conseils de discipline (dont 85% ont prononcé des exclusions définitives).<br /> • Constitution d’une population scolaire de “ poly exclus ” (2, 3, 4 établissements).<br /> • On ne pouvait pas se contenter d’exclure et d’exclure encore.<br /> • Accroissement des signalements en justice aboutissant à un “ engorgement ” judiciaire.<br /> • Violence antisociale : “ incivilités ”, dégradation du climat de l’EPLE, dégradation sensible de la relation professeur-élève.<br /> • Accroissement du sentiment d’injustice, de malaise pour un grand nombre d’élèves, malaise, sentiment d’être traité de manière aléatoire, sentiment d’incompréhension des règles (Les études comparatives d’Eric Debarbieux montrent que si 6 % des collégiens anglais estiment ne pas être traités justement par leurs institutions, ce nombre monte à 40 % des élèves dans nos collèges français).<br /> <br /> Devant cette situation, un groupe de travail a été constitué suite à une commande ministérielle.<br /> <br /> 3 orientations majeures<br /> 1. Élargir la palette des punitions et des sanctions pour offrir des réponses mieux adaptées aux équipes éducatives.<br /> 2. Inscrire ce régime de sanctions dans une logique éducative. Donner une valeur éducatrice à la compréhension de la sanction. Inscrire des sanctions positives. Redonner un sens global et éducatif à la sanction.<br /> 3. Fonder ou refonder l’organisation de la vie collective sur les principes généraux du droit (c’est le point qui a suscité le plus d’opposition).<br /> <br /> Rappel : pour la mise en place effective de ces textes, il faut d’abord les connaître.<br /> <br /> 3 principes pour la mise en œuvre<br /> 1. Toujours lier dans la réflexion les 2 textes. Le 1er (“ organisation des procédures disciplinaires et ”) définit les principes ; le 2nd (“ le règlement intérieur ”) c’est l’outil d’application.<br /> 2. Ne pas voir dans ce 1er texte des mesures imposées et fragilisantes pour l’équipe éducative. Le contenu de ces textes est issu de pratiques de terrain existant déjà dans les établissements. Il faut y voir une volonté d’instauration d’un climat relationnel et pédagogique apaisé parce que fondé sur des règles transparentes et reconnues de tous.<br /> 3. Les règles sont claires, justes et transparentes parce qu’elles sont fondées en droit. Ces textes n’instaurent aucune "judiciarisation" de l’école.<br /> <br /> Remarque : cette judiciarisation de l’école et des rapports sociaux n’est pas à redouter parce qu’elle existe déjà. Ainsi ces textes arment l’école et protègent les équipes contre ce type d’excès.<br /> <br /> Les principes généraux du droit<br /> 1. Principe de la légalité des sanctions et des procédures : pour répondre et lutter contre le sentiment d’injustice ressenti par beaucoup d’élèves. Désormais la punition ou sanction sera appliquée dans un cadre réglementaire et fondé en droit.<br /> 2. Principe du contradictoire : c’est le droit de la défense. Tout élève sanctionné doit être entendu et doit pouvoir s’expliquer avant d’être puni.<br /> 3. Principe de la proportionnalité des sanctions : hiérarchisation des sanctions ou des punitions pour éviter la mesure disproportionnée par rapport à la réalité des faits.<br /> Attention : hiérarchiser les sanctions ne se confond pas avec une tarification des punitions qui contrevient au 4e principe.<br /> 4. Principe de l’individualisation des sanctions : toute faute doit être considérée dans sa singularité. Il ne peut y avoir de sanctions collectives. Pas de « tarification », pas d’automaticité de la sanction.<br /> Ici, il faut rappeler les finalités de la sanction :<br /> • Il faut attribuer à l’élève la responsabilité de la faute commise <br /> • La sanction doit s’instruire dans une logique éducative.<br /> <br /> 1re nouveauté : les principes du droit sont clairement inscrits à l’école.<br /> L’école, en tant que lieu de formation de la personne sociale de l’élève, de construction du lien social, doit se fonder sur les principes du droit et donc de la loi.<br /> Ces textes se situent clairement du côté de la réglementation. La loi de l’école et la loi de la République se confondent.<br /> L’école construit le citoyen d’abord dans la loi de la cité et pas seulement dans la loi de l’école.<br /> <br /> 2e nouveauté : la distinction entre sanction et punition.<br /> Il n’y a que 2 instances disciplinaires dans les EPLE : le chef d’établissement et le Conseil de discipline. Elles prononcent les sanctions disciplinaires pour des manquements graves aux obligations des élèves.<br /> Les punitions scolaires sont prononcées pour des manquements mineurs aux obligations des élèves par les professeurs, les personnels de direction et d’éducation, les ATOS (par le bais du chef d’établissement). Elles ne sont pas susceptibles de recours administratifs.<br /> <br /> 3e nouveauté : les dispositifs alternatifs et d’accompagnements .<br /> La “ Commission de vie scolaire ” a pour objet de clarifier la situation, rappeler la règle à l’élève, montrer le manquement auquel il y a transgression et dire ce que risque l’élève. Cette commission peut prendre une mesure éducative ou d’accompagnement.<br /> <br /> Les “ contrats ” sont parfois utilisés. Attention à savoir ce que l’on contracte et quel est l’engagement réciproque (la dérive consisterait ici à traiter l’élève “sous contrat” de manière dérogatoire par rapport aux règles de vie instituées pour tous. Il faut cibler les manquements de l’élève par rapport aux obligations scolaires et contractualiser une progression réalisable).<br /> <br /> Les “ mesures de prévention ” visent à prévenir les actes répréhensibles (c’est d’ailleurs une exigence du Conseil d’Etat d’inscrire ces mesures de prévention : obligation pour les EPLE de savoir prévenir avant de punir).<br /> <br /> Les “ mesures d’accompagnement ” visent à éviter la double peine en cas d’exclusion temporaire d’un élève : si l’on veut que l’exclusion demeure positive, il faut qu’elle soit accompagnée sur le plan pédagogique de telle sorte que l’élève ne soit pas en rupture avec sa classe, ses programmes et son travail d’élève.<br /> Des mesures originales existent déjà : “ les mesures d’inclusion ” où l’élève est exclu mais reste travailler dans l’EPLE tout en étant exclu. Récemment, des plaintes recevables ont été déposées par des parents au motif que la rupture de la scolarité, consécutive à une mesure d’exclusion, constituait une voie de fait vis-à-vis de l’élève. L’exclusion d’un élève ne doit pas correspondre à une rupture de scolarité .<br /> <br /> Des “ mesures de réparation ” peuvent être aussi prises : attention aux dérives constatées parfois dans leur application .<br /> <br /> Les “ mesures d’effacement ” existent aussi. Le suivi des sanctions en tant qu’acte administratif nécessite de prévoir leur effacement.<br /> Certains collègues ont exigé que la « mémoire disciplinaire » des élèves les plus perturbateurs soit maintenue. C’est une position inacceptable en droit (l’agitation, même extrême, d’un élève n’est pas une fatalité en soi. L’espoir existe en éducation. Conserver la mémoire disciplinaire des élèves les plus “ difficiles ” c’est prendre le risque assurément irresponsable de fabriquer des délinquants et des exclus. Défions-nous encore des simplifications excessives qui pour paraître de bon sens s’assimilent en fait à une forme de barbarie).<br /> Le Conseil d’Etat a validé le fait qu’il y ait effacement au bout d’un an de toutes les sanctions inscrites au dossier de l’élève exceptée l’exclusion définitive des élèves de leur établissement scolaire.<br /> <br /> Autre point important : la suspension de la procédure disciplinaire dans l’EPLE n’est plus automatique en cas de poursuite pénale d’un élève.<br /> <br /> Objectif final : ces textes doivent entrer dans la culture de l’école, doivent être négociés, discutés, ils doivent faire débat, ils doivent être expliqués.<br /> ________________________________________<br /> <br /> Et je concluais...<br /> <br /> Ces deux textes sont souvent méconnus des équipes pédagogiques. Un gros travail d’information, de conviction et d’appropriation doit être mené auprès des enseignants notamment.<br /> Cette mise en œuvre suppose une réflexion de fond sur les relations maître-élève et plus largement sur le climat de l’école.<br /> Il faut au final refonder l’organisation de la vie collective sur des bases ou des principes incontestables parce que fondés en droit.<br /> Personne ne doit avoir peur du droit.<br /> --------------------------------------------------<br /> FM.<br /> CPE et intervenant ponctuel à l'IUFM des pays de la Loire.
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T
Je suis d'accord, tu as tout à fait raison selon moi, Bazarboy, et c'est pour cela que j'aime aussi ce blog :<br /> les billets de Lubin sont toujours excellents, bien tournés, et toujours avec une bonne dose de poivre !<br /> <br /> Théo
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T
Quelle phrase exacte dit, en gros, que le confort du tyran, c'est l'asthénie du peuple ? <br /> <br /> Théo, roi des amnésiques
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B
C'est bien écrit mais surtout souvent cinglant<br /> <br /> c'est plus ça que je voulais dire
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B
J'aime décidément bien lire ton blog<br /> C'est souvent bien écrit, mais tout à fait cinglant
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