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Journal d'école
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6 août 2011

Tuerie d'Oslo, fête nationale : l'histoire mène à tout, même au pire

Anders Breivik, l’auteur des attentats de Norvège, est-il un malade mental ou au contraire un individu doté de toutes ses facultés ? Pour légitime que soit la question, elle ne doit pas masquer l’essentiel : le poids de l’idéologie, des représentations politiques, dans la  préparation et le passage à l’acte meurtrier. Idéologie et représentations qui lui ont valu – malgré la monstruosité des faits - l’approbation, plus ou moins marquée, la sympathie ouvertement affichée, la compréhension d’une fraction de l’opinion publique en France et dans le monde – surtout celle qui fait du bruit sur internet – et de quelques politiciens d’extrême-droite.

Omniprésent dans la démarche de Breivik, le culte de la nation – commodément qualifié de « racisme » par la plupart des commentateurs – est l’élément moteur qui a conduit au dénouement final. Un culte entretenu par une référence obsessionnelle à un récit historique construit de toutes pièces autour de stéréotypes et d’une identité nationale constamment menacée par l’étranger. Une philosophie de l’histoire réduite à sa plus simple expression : nous et les autres. Breivik, finalement, ne fait guère qu’instrumentaliser l’histoire de la Norvège et du monde pour justifier ses actes.

L’instrumentalisation de l’histoire n’est malheureusement pas l’apanage des terroristes. Quelques jours avant les attentats d’Oslo, Eva Joly avait été grossièrement et brutalement vilipendée pour sa remise en cause de la parade militaire du 14 juillet. Même si la dénonciation de la fête nationale et de son aspect guerrier est aussi vieille que la fête elle-même, on a pris prétexte de la double nationalité de la députée européenne pour lui dénier toute légitimité sur le sujet. En livrant son point de vue aux médias, cette femme qui reste une « étrangère » dépassait les règles de la bienséance et montrait toute son ingratitude envers un pays qui avait eu la générosité de l’accueillir. Critique, au passage, souvent essuyée par Cohn-Bendit : quelle outrecuidance pour un juif allemand que de prétendre s’occuper des affaires de la France …

Dans cette campagne de dénigrement aux relents xénophobes, Eva Joly s’est vu reprocher, notamment par Fillon, de ne rien connaître à l’histoire nationale. La France n’existant donc que par son armée il serait alors parfaitement justifié qu’on lui rende hommage. Qu’on lui rende hommage, par exemple, pour Sétif, pour Dien Bien Phu, pour la torture en Algérie, pour le Rainbow Warrior, pour la bombe atomique, pour le commerce des armes ou que sais-je encore. Dans la bouche du premier ministre et de ceux qui la reprennent à leur compte, cette référence à l’histoire nationale, plus précisément à l’idée qu’ils s’en font, tient lieu de marqueur, de signe distinctif, une sorte de brevet de francité : d’un côté, les Français de souche qui se reconnaissent dans le récit mythique de la nation, ses grands personnages, ses capitaines, les grandes batailles, les grandes dates qui, comme on le dit, « ont fait la France » ; de l’autre, ceux qui n’ont ni compétence ni légitimité pour en parler, les étrangers…ou les traitres à leur pays.

Dans le lourd et indigeste document publié sur internet où il expose sa conception du monde, Breivik cite à 49 reprises le nom de Charles Martel. Le même Charles Martel que des générations d’écoliers français ont appris à connaître et à vénérer à travers les leçons d’histoire de l’école primaire, un enseignement qui s’est toujours fixé comme priorité l’émergence d’une conscience nationale. Les récents programmes d’histoire de l’école primaire (2008), avec la priorité accordée aux « jalons de l’histoire nationale »,  marquent de ce point de vue une dangereuse régression par rapport à la timide ouverture tentée précédemment. Les instructions réitérées sur l’apprentissage de la Marseillaise vont dans le même sens, en privilégiant la construction d’une identité nationale, pourtant réductrice et potentiellement dangereuse.

Dans un climat ouvertement raciste, l’école est la cible d’injonctions pressantes à forte connotation identitaire. Insidieusement, on travaille à un conditionnement des élèves où les réflexes, les automatismes, les stéréotypes l’emportent sur l’apprentissage de l’esprit critique. La tuerie d’Oslo n’est pourtant pas le simple fait d’un esprit dérangé, elle ne vient pas de rien.

 

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Commentaires
L
La nation mène à tout ... à condition d'en sortir.<br /> Pour ce qui est de l'Europe, elle marchera sans doute mieux le jour où ses propres dirigeants (nationaux ...) voudront bien cesser de la saboter :http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/22/politique-etrangere-securite-et-defense-une-union-europeenne-en-voie-d-ashtonisation_1562153_3232.html<br /> <br /> Merci à Théo et à Sceptique d'avoir bien voulu donner un peu de vie à ce blog, vraiment mort pendant ce mois d'août.
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T
"On appelle entropie le processus par lequel l’énergie disponible se transforme en énergie non disponible".<br /> <br /> Bien vu, Sceptique !<br /> <br /> Vraiment excellent !<br /> <br /> Théo
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S
La complexité représente mieux la vie, tant le phénomène lui même, quand on pense à son histoire, que la vie affective, culturelle, la curiosité, l'exploration, des individus. Généralement jeunes, mais pas toujours. L'entropie, recul de cette curiosité, de ce besoin d'exploration, l'installation dans la routine, la simplification de la vie et de la pensée, pas forcément douloureux, est un phénomène assez majoritaire chez les êtres vivants, y compris dans notre espèce. Les individus n'y échappent que s'ils en décident, et non parce qu'on les stimule. Les invigorations sont globalement inefficaces.<br /> Le psychanalyste Serge Leclair disait: "Nous avons souvent affaire à des "vivants morts". La mort de cette mort, redonnant sa place à la vie, prend du temps.
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T
Je comprends votre scepticisme, il me semble bien légitime.<br /> Mais encore une fois en ce qui me concerne, je vois notre monde régi par une certaine complexité, ( la complexité, c'est plutôt positif), ce qui implique aussi comme citoyen d'avoir à affronter et à régler si possible, si l'on s'en sent capable et motivé, une multitude de paradoxes (les paradoxes, c'est plutôt négatif) ... <br /> <br /> Je ne suis pas contre donc une socialisation de nos jeunes qui serait résolument basée sur la coopération et les apprentissages davantage que sur la compétition et l'"évaluationnite".<br /> <br /> La haine, je ne connais pas ce sentiment insupportable, comment peut-on vivre avec ?<br /> Si je suis en colère, je pardonne très vite pour ne pas être malheureux ! Par contre, un bon gros coup de gueule et de mauvaise humeur de temps à autre, je ne me l'interdis pas !<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> Théo
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S
Merci pour votre commentaire élogieux, et votre apport à notre réflexion.<br /> Mon sentiment, au bout de soixante-dix ans, au moins, d'intérêt pour la vie du monde et des hommes, est, qu'au niveau de la plupart des responsables, mais aussi d'une bonne proportion de citoyens, s'est forgée la conviction que les rapports de force sont vains, et qu'il vaut mieux essayer de s'entendre. Ce n'est pas toujours facile, les tendances au repli méfiant, à la fermeture sur soi, existent toujours, à toutes les échelles, de même que la tendance inverse, partir "bille en tête", sans se préoccuper de savoir si la piétaille peut suivre.<br /> L'actualité nous montre qu'on n'échappe pas aux "plaies d'argent", mais elles ne sont pas mortelles. Dans ce domaine là, aussi, le dépassement des intérêts particuliers vaut mieux que le repli sur soi. <br /> Ce qui me préoccupe, c'est la permanence de la haine, comme une drogue, qui est une menace sur la raison, dont je préférerais la victoire à coup sûr. C'est ma part de pessimisme, contrepoids à mon optimisme. La différence fait mon scepticisme! Mais je ne connaitrai pas la suite lointaine.
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