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Journal d'école
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11 septembre 2011

Moralement indéfendable

Si la suppression des postes à l’Education nationale fait sentir ses effets dans la marche des établissements, elle paraît par contre peu affecter les services centraux du ministère, qui, en pleine période de rentrée, ont su déployer une formidable énergie autour de l’instruction morale en primaire. Certains inspecteurs d’académie, comme celui de Strasbourg, ont cru bon faire du zèle avec d’interminables et indigestes circulaires, pédantes et dérisoires, scabreuses également – « la règle est morale, y lit-on – parce que son respect peut-être exigé de tous ». Sans commentaires.

Résultat de cette intense et fébrile cogitation, sur Eduscol, une inénarrable compilation de maximes, adages, sentences, sans oublier les « morales des fables de La Fontaine », qui fleurent bon le 19e siècle ou les conversations de bistrot. En vrac, aux côtés des classiques comme Hugo et Montaigne, on retrouve les grands penseurs qui ont laissé leur nom dans l’histoire de la pensée, comme Gustave le Bon, Anne Barratin (ça ne s’invente pas…), Louis Pauwels (« Contre la peur, un seul remède : le courage »), Le Roux de Lincy (« Loyauté vaut mieux qu’argent »), la marquise de Lambert (« Il ne faut pas toujours dire ce qu’on pense, il faut toujours penser ce que l’on dit »), l’inestimable Jean Frain du Tremblay (« On peut être modeste avec un grand mérite »), le très noble duc de Lévis (« Dans l'infortune, la fierté soutient le courage et donne de la dignité. »),  ou encore des anonymes (« Il y a peu de difficultés insurmontables pour celui qui les combat avec un courage opiniâtre »),etc etc .

Bref, si, à partir de maîtres aussi éminents, nos élèves ne deviennent pas des modèles de vertu, c’est à désespérer de la morale.

La série des adages juridiques mérite également la visite :
- « Nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui ».
- « La peine est suffisante si elle empêche le coupable de le devenir de nouveau ».
- « Une même justice pour tous ».
- « Jusqu’au moment de la condamnation, le coupable est réputé innocent ».
- « Nul n’est censé ignorer la loi ».
- « Toutes les fois qu’il s’élève des doutes sur l’interprétation d’une clause dans laquelle il s’agit de la liberté, c’est en faveur de la liberté que l’on doit se déterminer ».

Autant d’adages dont cinq ans de sarkozysme font apprécier toute la pertinence.

Comme on l’a déjà maintes fois fait observer, cette dernière fantaisie du ministre a évidemment une histoire, une histoire politique : elle s’adresse à l’électeur dans la perspective des prochaines présidentielles. Que l’administration du ministère, à tous ses échelons, se trouve réquisitionnée pour une opération sans rapport avec le service public d’éducation  est en soi problématique. Pour ce qui les concerne, les enseignants à qui la loi reconnaît la liberté pédagogique, ont parfaitement le droit de travailler à une formation morale des élèves qui ne les enferme pas dans un carcan à la fois stérile et équivoque, voire malsain. Car si la plupart de ces maximes se signalent surtout par leur côté naïf et insignifiant, il en est d’autres dont on a eu l’occasion de mesurer les effets à grande échelle, comme cette dernière de Casimir Delavigne (1821) : « La loi fût-elle injuste, il faut la respecter ». On s’étonne qu’après un siècle de guerres, de génocides, de massacres en tous genres, on n’ait pas encore pris conscience de l’absurdité d’un principe qui fait de l’obéissance absolue à la loi, même de la pire espèce, une norme intangible de la vie en société.

Pour aujourd’hui, on ira chercher sa conclusion dans la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis (1776), avec cet extrait, d’ailleurs rarement mis en avant, allez savoir pourquoi : «  La prudence recommande sans doute de ne pas renverser pour des causes légères et passagères des gouvernements établis depuis longtemps. Mais lorsqu’une longue suite d’abus tente de soumettre les hommes à un despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de renverser le gouvernement qui s’en rend coupable […] »

 

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Commentaires
L
Bonjour Philippe, <br /> <br /> Et merci pour l’info, c’est vrai qu’il m’avait échappé ce Carrel et la citation proposée sur Eduscol ne manque pas de piquant quand on connaît le passé de ce pétainiste notoire, théoricien de l’eugénisme :<br /> « Pour que la famille survive, il faut prescrire le respect des enfants pour leurs parents. »<br /> <br /> Après tout, Eduscol pouvait très bien choisir cette autre pensée profonde de Carrel en 1936 : « En Allemagne, le gouvernement a pris des mesures énergiques contre l'augmentation des minorités, des aliénés, des criminels. La situation idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éliminé quand il s'est montré dangereux »
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P
Sans oublier aussi une citation également du pourtant peu moral et peu recommandable Alexis Carrel...
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