Allégeance aux armes, allégeance au pire
La proposition de Copé et de l’UMP d’obliger tous les jeunes Français arrivés à l’âge de la majorité ainsi que les candidats à la nationalité française à prêter un « serment d’allégeance aux armes » n’a fait l’objet, jusqu’à présent, que de critiques singulièrement anodines, à la marge, eu égard à la perversité du sujet et à la malignité de ses instigateurs.
Reprocher à Copé un anachronisme qui nous ramène à la guerre des tranchées ou aux campagnes napoléoniennes, lorsque la puissance militaire d’un état était fonction du nombre de soldats mobilisés, est la moindre des critiques. Alors que n’importe quelle opération militaire nécessite un déploiement hautement technologique, que la formation d’un soldat demande plusieurs années, que piloter un Rafale est quand même nettement plus délicat que faire la guerre à cheval – même si le cheval reste infiniment plus sûr que le Rafale - il se trouve encore des politiciens pour fantasmer sur le mythe de la nation en armes, prête à se lancer, baïonnette au canon, contre l’ennemi héréditaire.
On a relativement peu relevé que si le projet de serment est censé concerner tous les jeunes, il vise bien plus explicitement les immigrés, objets de toutes les méfiances de la droite. Car si, pour un Français de naissance, un Français par hasard, le refus de prêter serment ne devrait pas déboucher sur des inconvénients majeurs – à moins qu’on envisage de rétablir les lourdes de peine de prison qui visaient objecteurs et insoumis à l’époque de la conscription – il n’en irait évidemment pas de même pour un candidat à la nationalité, dont on imagine aisément que les réticences au serment auraient pour conséquence de lui en fermer l’accès. C’est un fait : d’un Français « de choix », on peut tout exiger, même le pire, jusqu’à sacrifier sa vie quand on le lui demanderait. Alors qu’on s’est indigné, dans certains milieux, des sifflets contre la Marseillaise, du déploiement de drapeaux étrangers dans les rues ou les mairies, le serment d’allégeance apparaît comme une réponse implacable et humiliante à l’adresse de l’étranger dont l’accession à la nationalité française serait conditionnée à l’acceptation de partir en guerre contre sa propre famille restée au pays. Si le racisme est toujours brutal, il est aussi mesquin.
« On croit mourir pour la patrie et on meurt pour les industriels ». Cette formule d’Anatole France n’a rien perdu de son actualité. Derrière le mythe de la défense du territoire, ce sont bien plus souvent de sordides intérêts financiers qui sont en cause : au cours de ces dernières années, tous les militaires français tués en service commandé, l’ont été contre de prétendus adversaires à qui la France avait précédemment livré des armes. Second ou troisième exportateur mondial d’armements, la France est en réalité un fauteur de guerre et les liens étroits qui existent entre les partis politiques et le lobby militaro-industriel contribuent à donner son vrai visage à la dernière lubie de l’UMP : exiger de chacun un serment d’allégeance aux marchands de canons.
Curieusement, dans le flot de critiques ou de commentaires suscités à droite comme à gauche par la proposition Copé – dans un domaine où la gauche ne se distingue pas vraiment de la droite - on chercherait en vain une quelconque préoccupation du droit à l’objection de conscience : la concrétisation de ce projet surréaliste marquerait pour les libertés une régression de près d’un demi-siècle, nous ramenant à l’époque où le refus de porter les armes se traduisait par de lourdes et longues peines de prison. C’est en 1963 que Louis Lecoin, militant pacifiste et anarchiste, arrachait à de Gaulle, à la suite d’une grève de la faim qui avait mis sa vie en danger, un bien timide statut pour les objecteurs, renforcé ultérieurement par une législation qui, bien que restrictive, autorisait à se déclarer « opposé à l’usage personnel des armes ». La « suspension » du service militaire en 1997, rendant obsolète le statut si chèrement acquis, a créé un dangereux vide juridique car c’est bien une liberté fondamentale, la liberté de conscience, que le serment d’allégeance remettrait en cause.
Faire jurer à toute une population, en dépit des convictions morales, politiques, philosophiques ou religieuses de chacun de ses membres, qu’elle est disposée à tuer ou se faire tuer sur ordre de son chef, n’est quand même pas chose négligeable. S’en servir comme argument dans le cadre d’une campagne électorale est le signe d’une sérieuse dérive de la démocratie.