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Journal d'école
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15 octobre 2011

"Repérage" en maternelle : dernier avatar de l'école-sanctuaire

« L’enfant ne répond qu’exceptionnellement ou jamais à l’adulte » : 0 point. « Il persiste un défaut d’articulation ou il est peu intelligible » : 0 point. « Il ne joue pas avec les autres à la récréation » : 0 point. Dans le cadre d’une activité de découpage, « 0 point si le trait de ciseau dépasse à l’intérieur ou à l’extérieur la 2e ligne fine quelque (sic) soit l’importance du dépassement ». Ce sont quelques-uns des items tirés d’un livret dénommé « Aide à l’évaluation des acquis en fin d’école maternelle », que le ministre de l’Education nationale envisage de généraliser dès cette année.

Ce dispositif devrait s’organiser en trois phases. Dans un premier temps, au cours de la phase de « repérage », il s’agirait d’observer l’enfant à travers son comportement à l’école, sa « conscience phonologique », son langage et à sa motricité. Les enfants seraient alors classés en trois catégories : « rien à signaler », « risque », « haut risque ». Les élèves repérés à risques seraient alors mis à l’écart pour faire l’objet d’une sorte de redressement pudiquement appelé « entraînement progressif ». A moins 2 points en comportement, l’enfant sera catalogué « à haut risque ». Ainsi, celui qui ne joue pas avec les autres, ou bien « qui accapare la parole » ou encore « qui ne reste pas forcément dans le sujet de l’échange », sera – à 5 ans – considéré comme « à risques ».

Cette dernière trouvaille de Chatel, s’inscrit dans une double logique. Véritable obsession du ministre, la volonté de multiplier à tous les niveaux de la scolarité et pour des enfants de plus en plus jeunes les dispositifs de contrôle, a débouché sur une inflation de dispositifs en tous genres, mais sous une forme tellement standardisée et déconnectée du quotidien de la salle de classe, qu’ils tournent à vide. A force de vouloir faire rentrer les compétences et les savoirs dans des cases, on en est arrivé à faire perdre tout son sens à l’évaluation.

Mais derrière l’évaluation des acquis à l’école maternelle, se dissimule aussi une pensée politique très forte : cette machinerie ubuesque fait suite à des initiatives plus anciennes (rapports Inserm et Benisti en 2005, ou encore la proposition du secrétaire d’Etat à la justice, Bockel en 2010) visant toutes, sous un couvert faussement scientifique, à traquer le futur délinquant dès la maternelle. Dans le cas présent, il est quand même légitime de s’interroger sur le sérieux d’une analyse qui qualifie de « haut risque » le fait qu’un enfant de 5 ans préfère jouer seul sur la cour de récréation ou découpe maladroitement une feuille de papier. Le détournement de la science à des fins idéologiques n’est pourtant pas une chose nouvelle dans l’histoire.

Pour justifier leur initiative, les instigateurs du dispositif mettent en avant un des objectifs assignés à  la maternelle : « devenir élève ». Mais la grille de lecture qu’ils prétendent imposer s’appuie sur une très critiquable conception de l’éducation selon laquelle, pour « devenir élève », il faudrait d’abord cesser d’être un enfant, que l’élève est incompatible avec l’enfant, que l’enfant qui devient élève à son rythme est nécessairement un sujet à « haut risque », relevant d’un traitement adapté. Une représentation castratrice de l’enfance qui, sous un enrobage pseudo-scientifique, ignore tout en réalité du développement de l’enfant et de l’incontournable facteur temps qui le fait grandir à son rythme. Alors que les comparaisons internationales montrent une école française anxiogène – près de  la moitié des enfants affirme avoir mal au ventre avant d’aller à l’école – ce type de dépistage, s’il était adopté, ne ferait qu’aggraver le problème.

Il n’est pas anodin de relever que ce projet, brutal, quasi-totalitaire dans son principe et autoritaire dans sa mise en application – élaboré sans aucune concertation avec les professionnels – est le fait d’un ministre qui se gargarise de mots sur la nécessaire « individualisation » des parcours scolaires ou l’autonomie des établissements, formules qui n’arrivent pas à dissimuler l’intervention toujours plus envahissante de l’administration et du ministre lui-même dans la marche du système éducatif.

Reconnaissons au ministre qu’il n’est pas seul en cause : ce nouvel « outil de repérage » sorti du secret d’un cabinet ministériel, est le dernier avatar du mythe d’une « école-sanctuaire », rêvée dans des cercles très étendus, une école coupée du monde, qui prétend construire l’élève et, au-delà, le citoyen en détruisant l’individu.

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Commentaires
T
http://sauvons-lecole.over-blog.com/article-si-l-on-avait-flique-l-enfance-des-politiques-86914629.html
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C
J'ai eu l'occasion de lire, l'an passé le projet de loi dans lequel il était clairement dit que les "psychologues scolaires étaient appelés à disparaître" .... (ils ne précisaient pas la méthode : karcher, autres?) Je pense que ces ersatz d'évaluation sont le pendant des manques d'évaluations à venir, et à l'avenir s'amplifier, et chargeront d'autant la responsabilité et la tâche des instits qui auraient peut-être un peu trop de temps libre ! Outre le fait qu'on les fait jouer aux apprentis sorcier, je suis horrifiée de ce flicage dès la prime enfance !
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