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Journal d'école
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6 novembre 2011

"La fuite vers le privé" : un discours pour faire peur

La manifestation de l’Enseignement privé le 5 novembre dernier à Rennes révèle chez ses organisateurs une inquiétude larvée qui dépasse largement le motif affiché de la suppression des postes d’enseignants. L’« impressionnant succès» de l’Enseignement catholique que certains commentateurs peu avisés ou mal intentionnés (le Figaro, 04/10/2011) croient pouvoir opposer aux difficultés plus globales du système éducatif, ne résiste ni à l’analyse ni aux chiffres.

En termes de fréquentation, les enquêtes disponibles auprès du ministère de l’Education nationale montrent en effet pour les dernières années, avec une constance obstinée, une très grande stabilité du rapport public/privé et même une légère régression de ce dernier : entre 1990 et 2010, l’enseignement primaire public est passé de 86,4%  à 86,5% des effectifs, le secondaire public de 78,8% à 79,8%. Sur le demi-siècle écoulé, l’enseignement public a progressé de 74,1% en 1960 à 78,7% en 2010, tous niveaux confondus. Le repère de 1960 est d’autant plus pertinent que cette année-là (1959) a vu la naissance des contrats d’association prévus par la loi Debré, réorganisant en profondeur les rapports entre l’Etat et l’Enseignement privé.

Bref, sur le court comme le moyen terme, rien qui permette d’accorder un semblant de crédibilité à l’image pourtant largement diffusée de « fuite vers le privé » ou de familles désemparées cherchant un recours, une alternative à l’enseignement public. Une réalité statistique qui ramène à sa juste valeur les affirmations péremptoires d’Yves Thréard : « jamais autant de parents ne se sont autant évadés du public pour frapper à la porte des établissements privés ».

On ne voit d’ailleurs pas ce qui pourrait justifier ces « évasions » de masse, la loi Debré régissant les établissements sous contrat d’association – c’est le cas de la quasi-totalité des établissements catholiques -  ayant justement pour effet de rendre impossible toute « alternative » réelle à l’enseignement public. Puisqu’en effet la loi stipule que l’enseignement privé « participe au service public d’éducation », il est soumis à la règle générale : mêmes programmes nationaux, mêmes méthodes pédagogiques, formation et déroulement de carrière identiques pour les enseignants, mêmes examens et évaluations pour les élèves. Les circulaires, décrets, notes de service émanant du ministère aboutissent quotidiennement dans les établissements privés comme dans les établissements publics.

Dans ces conditions, le fait, pour un chef d’établissement privé, de ne pas devoir sa nomination au ministre de l’Education nationale, n’est guère susceptible de lui apporter une autonomie vidée de sa substance par le fonctionnement centralisé et autoritaire caractéristique de l’Education nationale et à laquelle il est soumis à l’instar de ses collègues du public. Le libre choix des enseignants qui lui est garanti – mais non leur nomination ou leur renvoi qui restent de la responsabilité du recteur d’académie – s’il pouvait encore avoir un sens lorsque trois enseignants se présentaient pour un même poste, n’en a plus guère dans un contexte de recrutement de plus en plus problématique des enseignants, qui interdit aux directeurs et directrices de faire la fine bouche, quand bien même ils ne sont pas contraints de se tourner vers Pôle emploi, comme c’est déjà le cas pour assurer les suppléances. Cette situation se trouve d’ailleurs aggravée par une spécificité qui risque de s’avérer rapidement délicate à gérer pour l’Enseignement catholique : une pyramide des âges de son personnel enseignant nettement plus âgée que celle du public (41, 3 ans en moyenne pour le public contre 43, 4 ans pour le privé).

« La fuite vers le privé » ? Un lieu commun, très éloigné de la réalité et pourtant rabâché dans le débat public mais qui nous renseigne en fin de compte davantage sur ses propagateurs que sur l’enseignement privé. Un gros mensonge statistique destiné à la fois à faire passer pour évidente la « faillite de l’enseignement public » - c’est le discours du Figaro - mais aussi à entretenir les frayeurs sur les menaces que l’enseignement privé serait censé faire courir à la laïcité. Et l’on sait bien qu’aujourd’hui la défense de la laïcité est une cause qui fédère tous les horizons, même les moins recommandables et autorise bien des dérapages.

 

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