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Journal d'école
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1 février 2012

APHG : passéisme et discours de classe pour l'enseignement de l'histoire

Les critiques adressées aux programmes d’histoire et de géographie en lycée, fortement médiatisées, et de façon très orientée, dans le cadre d’une bruyante campagne orchestrée par l’Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie (APHG), portent principalement sur l’horaire insuffisant attribué à la discipline et sur la disparition des « repères chronologiques » au profit d’une approche thématique. En réalité, une analyse superficielle et partiale du sujet.

Se lamenter de la diminution de l’horaire d’histoire-géographie et réclamer son rétablissement en classe de terminale oblige à aller au bout du raisonnement en précisant sur quelle autre discipline scolaire devrait être pris le temps attribué à l’histoire. Faut-il alors réduire le temps consacré à l’apprentissage du français, des langues vivantes, des matières scientifiques, des pratiques culturelles et sportives – domaines où, pourtant, les lycéens français ne brillent pas dans les comparaisons internationales – amputer le temps libre des élèves, alors que leur journée de travail est déjà la plus longue en Europe ? La logique d’une approche purement disciplinaire des savoirs scolaires, qui est celle de l’APHG,  conduit à une impasse. Et si, comme le revendique l’association, l’histoire participe de la formation du sens critique et d’acquisition d’aptitudes civiques, sa prétention exclusive à les assurer paraît excessive et surtout bien méprisante pour le reste de la scolarité qui y travaille également.

Puisque le temps, paraît-il, manquerait pour boucler le programme, on serait sans doute mieux inspiré d’établir une progression historique d’ensemble, tenant compte notamment des acquis du collège, qui ne sont pas nuls, contrairement à ce qu’une opinion répandue chez certains enseignants de lycée voudrait faire croire. A titre d’exemple, on peut quand même s’interroger sur la nécessité de consacrer 15-16 heures de cours en Première sur « les Français et la république » alors que « la vie politique en France de 1918 à aujourd’hui » occupe, d’ailleurs très excessivement, 35% de l’horaire d’histoire en classe de Troisième. Ou encore la place dévolue en Première aux « guerres du 20e siècle » (16-17 heures) ou au « siècle du totalitarisme » (10-11 heures) est-elle vraiment légitime quand deux ans plus tôt, les collégiens de Troisième ont consacré 25% du programme d’histoire au thème des « guerres mondiales et régimes totalitaires » ?  L’APHG est muette ou aveugle sur cette redondance, héritage de la tradition concentrique des programmes scolaires, qui impose de revenir sans cesse sur des sujets antérieurement travaillés, avec pour résultat – outre la démotivation des élèves - que le domaine des savoirs possibles en histoire se trouve singulièrement réduit à quelques sujets, toujours les mêmes.

C’est ici que le reproche majeur adressé aux programmes – négliger la chronologie au profit d’une approche thématique – dévoile toute son ambigüité. Si l’APHG regrette « la mise-en-place de programmes qui ne permettent pas de maîtriser les repères fondamentaux nécessaires à la poursuite des études supérieures et à l'insertion dans la vie professionnelle », la conception qu’elle soutient des repères et de la chronologie est quand même singulièrement réductrice. Alors que personne n’a jamais nié la nécessité de donner du sens à un événement en le replaçant dans son contexte – en quoi les programmes actuels ne le permettent-ils pas ? - on s’interroge néanmoins sur le choix de ces fameux repères censés fonder la chronologie mis en avant par les dix contributions présentées sur le site de l’APHG.  « On n’apprend plus l’histoire des rois au Moyen Age », s’indigne la contribution 5, qui voit là une « volonté de casser la chronologie »,  manifestant ainsi une réelle méconnaissance des conditions d’élaboration d’un récit mythique plus qu’historique. Dans une veine voisine, un professeur de lycée lyonnais, syndiqué au SNES, rejoint « l’historien » (sic) Dimitri Casali pour regretter la disparition des « grands hommes » : « ce qui disparaît avec ces grands hommes, c’est la construction d’un état fort centralisateur qui applique dans tout le territoire la loi nationale » (contribution 10). Que, sous l’action de ces grands hommes, l’état en question ait été bien souvent despotique et oppresseur n’entre pas ici en considération. La chronologie très artificielle défendue ici renvoie soit à une réelle inculture historiographique soit à un choix idéologique faisant du « mythe national » le fondement de la société d’aujourd’hui. Mais dans ce cas, il faut l’assumer comme tel.

L’enseignement de l’histoire, tel qu’on le conçoit à l’APHG, se réfère implicitement – et désespérément – à une époque révolue : faisant fi d’un siècle de recherche historique et pédagogique, qui ouvre quand même d’autres horizons que la ligne bleue des Vosges, crispée sur un récit étroitement politique et institutionnel, ses défenseurs - cf. les enseignants de l’académie de Rennes, qui, dans une déploration très brighellienne, s’affligent de se voir réduits au rôle de « gentils animateurs » (contribution 6) – passent à côté du sujet, refusant obstinément de voir que les élèves d’aujourd’hui, de par leur origine sociale, n’ont plus rien à voir avec les élèves soigneusement sélectionnés qui fréquentaient les études secondaires il y a plusieurs décennies. Avec Suzanne Citron, il faut se poser la question :

« De quel savoir scolaire, et donc de quelle histoire, de quel passé les enfants des écoles et les adolescents des collèges ont-ils besoin, sont-ils demandeurs pour construire leur personnalité, pour se socialiser à côté des autres et pour se comprendre comme Français, ou comme habitant venu d’ailleurs dans la France, l’Europe et le monde d’aujourd’hui ? » (Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Editions de l’Atelier, 2008)

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Commentaires
L
Bonjour, <br /> <br /> <br /> <br /> peut-être connaissez-vous déjà cet article de Laurence De Cock, qui pose bien le problème : <br /> <br /> http://aggiornamento.hypotheses.org/763
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H
Vous soulevez de très bonnes questions. Je suis prof en lycée, et ce que je reproche au programme nouveau(j'ai une 1ère S) c'est :<br /> <br /> - la redondance des sujets/3e, comme vous<br /> <br /> - la lourdeur du programme, stt en géo<br /> <br /> - les consignes officielles qui transforment la géo en célébration univoque de la mondialisation capitaliste : je ne déconne pas, Cf. Eduscol.<br /> <br /> - l'utilisation de concepts complexes qui sont bons pour des spécialistes ou, au moins, des étudiants, mais qui découragent des élèves lambda pourtant désireux de bien faire.<br /> <br /> - la totale non concertation ds laquelle se sont faits les programmes<br /> <br /> - l'amateurisme des réponses qd on demande par exemple quels croquis/schémas peuvent tomber au bac.<br /> <br /> J'ajoute que l'APHG, je m'en tape un peu, ça ne m'a jamais fait tripper ce genre d'associations où l'on distingue encore les agrégés des certifiés pour le prix de l'abonnement et la valeur des idées...
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