Le vote de la  colère, le vote des chômeurs, des laissés pour compte, de petits, des déclassés, des méprisés etc. L’explication est là, toute simple, toute évidente : ce sont la misère et le désespoir qui font voter Le Pen. Explication tellement simple et évidente que nos savants commentateurs, nos doctes politologues et même aujourd’hui – c’est un comble – la plupart des politiciens de gauche,  qui, en la matière, font preuve d’un coupable aveuglement qui risque de coûter très cher, ne se donnent même pas la peine de la vérifier, comme s’il allait de soi que la misère sociale devait conduire à apporter son suffrage à ce qui se fait de pire en matière d’idéologie.

Jusqu’à dimanche dernier, le score élevé du FN dans quelques régions défavorisées, marquées par le chômage (comme le Nord),  servait à justifier cette analyse, nullement dérangée par l’implantation ancienne et massive de cette formation chez les riches retraités du littoral méditerranéen. Mais le premier tour des présidentielles a vu – avec l’émergence d’un vote Le Pen dans des régions, comme l’Ouest,  jusque là épargnées par la peste – un phénomène nouveau qui aurait dû changer la grille d’analyse : comment expliquer le vote d’extrême-droite dans de paisibles villages du bocage peuplés de non moins paisibles retraités ? Et nos commentateurs, nullement troublés par une constatation qui,  pourtant, change la donne, de se ruer sur place pour découvrir le tableau apocalyptique censé faire la lumière sur le vote Le Pen. Pensez donc : des campagnes désertées, avec leurs gares à l’abandon (même si cela fait un demi-siècle que la route a remplacé le rail), l’épicier du coin qui a fermé boutique, le médecin qui ne se déplace plus ( … et à l’hôpital le plus proche, le service public de santé assuré par les médecins étrangers, souvent africains, sous-payés), le prix de l’essence etc etc. C’est donc cela - et la mise au pilori de la grande coupable, l’Europe - qui ferait voter Le Pen, réclamer l’expulsion des immigrés, la fermeture des frontières, la peine de mort ?

Chose curieuse : ce nouveau prolétariat, ces pauvres gens, version française des indignés, trompés par la classe politique, qui n’en peuvent plus, pour reprendre la formule à la mode et tellement pratique, s’apprêteraient néanmoins, si l’on en croit les derniers sondages, à reporter massivement leurs suffrages sur Sarkozy. Aveuglés par un désespoir qui leur ferait considérer comme un sauveur le président des riches et le parti politique à la tête du pays depuis dix ans ?

Les motivations du vote d’extrême-droite sont en réalité beaucoup moins honorables et moins avouables, au point qu’on préfère les taire. Quand et où, dans quel pays, a-t-on vu un régime d’extrême-droite se soucier de justice sociale ? Par contre, le vote de dimanche confirme l’infiltration de plus en plus profonde des sentiments racistes et xénophobes dans l’opinion publique, sous l’influence des théoriciens habituels de cette idéologie, renforcés par la légitimité que leur a apportée Sarkozy, qui ne voit pas d’incompatibilité entre le FN et la république. C’est possible, mais avec quel type de république ?