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Journal d'école
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11 novembre 2012

11 novembre : la mémoire détournée

La presse locale en raffole : chaque année, les photos d’écoliers rassemblés à l’occasion du 11 novembre devant le monument aux morts de la commune illustrent complaisamment les pages intérieures des quotidiens. Souvent peu nombreux, souvent tout petits, leur présence est comme une sorte de caution apportée par leurs maîtres zélés, soucieux de ne pas déplaire aux autorités locales, à la perpétuation d’une mémoire officielle de commande.

Spectateurs plus ou moins obligés d’un rituel à la fois religieux et militaire – hymne national, drapeaux, présence d’anciens combattants dont on se garde bien de dire que les faits d’armes remontent le plus souvent à la guerre d’Algérie – les enfants font l’objet d’un conditionnement guère en rapport avec la réalité historique ou la formation morale du citoyen : ce n’est pas un hommage aux morts qu’on rend, mais un hommage à la guerre.

Une dérive mémorielle dont on trouve l’illustration, par exemple, à  l’Historial de Péronne, sorte de Disneyland consacré à la première guerre mondiale, dont le service éducatif fait preuve d’une imagination débordante dans l’élaboration d’activités ludiques pour ses jeunes visiteurs : comment apprendre la guerre en s’amusant ?  Au point qu’au détour d’une bande dessinée, Stéphane Audoin-Rouzeau, président du Centre de recherche de l’Historial, se croit tenu de préciser à l’attention de ses petits lecteurs : « la guerre ne se contente pas de blesser, elle peut tuer » (sic). On ne va quand même pas se gâcher la visite avec 10 millions de morts…

S’il s’agit de mémoire, peut-être faudrait-il, d’abord, poser les bonnes questions :

- sur les causes des guerres, toujours futiles en regard des résultats ;

- sur l’obligation faite à des millions d’hommes de sacrifier leur vie pour défendre des frontières qui ne sont jamais qu’un pointillé sur une carte ;

 - sur l’obéissance aveugle exigée par des chefs criminels abusivement qualifiés de « héros » ;

 - sur l’identification factice et arbitraire à une nation, qui voudrait faire croire qu’on meurt  « pour son pays » alors que l’on meurt en réalité à cause de son pays, ou, du moins, d’une certaine conception de la vie en collectivité arcboutée sur la nation comme à un dogme intangible.

S’agit-il vraiment de « mémoire »  que l’on veut entretenir ou d’amnésie, d’aveuglement ? Car si le souvenir d’une guerre ou d’un épisode dramatique de l’histoire doit avoir du sens, n’est-ce pas avant tout pour en empêcher le retour ? En 1994, alors que les enfants des écoles étaient réquisitionnés pour le 50e anniversaire du débarquement en Normandie, le Rwanda était la proie du génocide que l’on sait, avec la complicité des Grands de ce monde qui se pressaient sur les plages du débarquement. Très souvent, la commémoration apparaît comme un moyen commode pour détourner le regard de ce qui se passe sous nous yeux, pour se donner bonne conscience à moindre coût.

Depuis 1914, les guerres n’ont jamais cessé, même si elles se sont déplacées, alimentées par le commerce des armes et les budgets militaires démentiels. Alors que le monde a dépensé l’an passé plus de 1500 milliards de dollars pour faire la guerre, que le budget militaire de la France est le plus élevé en Europe, que la France s’honore d’être l’un des premiers exportateurs mondiaux d’armement, comment croire à l’honnêteté des cérémonies commémoratives du 11 novembre ?

Commémorer, pour quoi faire ? La question intéresse bien sûr les historiens mais c’est à un écrivain et scénariste américain, Dalton Trumbo, que l’on doit sans doute sur ce sujet, les paroles les plus fortes. Son roman « Johnny s’en va-t-en guerre », paru en 1939 et dont le héros est un soldat américain de la première guerre mondiale, est toujours d’actualité :

« Vous entendrez toujours de gens qui sacrifient volontiers la vie des autres. Ils font beaucoup de tapage et ils n’arrêtent pas de parler. Vous en trouvez dans les églises et les écoles et les journaux et les corps législatifs et les congrès. C’est leur métier. Leurs paroles sonnent bien. La mort plutôt que le déshonneur. Le sol sanctifié par le sang. Ces hommes qui sont morts noblement. Ils ne sont pas morts en vain. Nos glorieux morts (…)

Personne en dehors des morts ne sait si toutes ces idées dont parlent les gens valent la peine qu’on meure pour elles ou non. Mais les morts ne parlent pas. Aussi toutes les paroles sur la noblesse de la mort et le caractère sacré du sang versé et l’honneur sont-elles mises dans la bouche des morts par des détrousseurs de cadavres et des imposteurs qui n’ont pas le droit de parler au nom des morts. Si un homme dit plutôt la mort que le déshonneur c’est un sot ou un menteur car il ne sait pas ce qu’est la mort (...) S’il est assez sot pour croire que la mort vaut mieux que le déshonneur qu’il se mette sur les rangs et qu’il meure. Mais qu’on laisse donc les petits gars tranquilles quand ils sont trop occupés pour aller se battre. Et qu’on laisse également les gars tranquilles quand ils disent que préférer la mort au déshonneur c’est de la foutaise et que la vie est plus importante que la mort (...). »  (Journal d'école, 10/11/2007)

 

Pour en rester sur la thématique du jour, un détour s’impose par le site d’Olivier Favier – « Dormira jamais » - qui revisite des lieux curieusement oubliés. Dans cette rubrique, Les lieux de l’oubli, l’auteur écrit : « J’entends bien davantage faire sentir que le concept de « mémoire » tel qu’on le véhicule aujourd’hui est assez pathogène. » Effectivement…

 

B. Girard

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