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Journal d'école
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10 décembre 2012

La Marseillaise à l'école : une escroquerie

Le projet de loi de programmation sur l’école dévoilé ces derniers jours se signale surtout par le flou des principes affichés, remettant à plus tard les choix décisifs. Il est néanmoins un domaine où le ministre de l’Education nationale n’a pas attendu les futures circulaires pour imposer ses options personnelles, en accordant une place démesurée, dans la formation des élèves, à la symbolique nationale, renforçant la sollicitude dont elle fait l’objet ces dernières années.

La mission attribuée à l’école primaire, dans son article 26, est ainsi définie : « [L’école] assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique qui comprend obligatoirement, pour permettre l’exercice de la citoyenneté, l’apprentissage des valeurs et symboles de la République, de l’hymne national et de son histoire. » Sous la figure tutélaire de Déroulède, Peillon revendique l’héritage de ses proches prédécesseurs, Darcos, avec l’instruction civique et morale et Chatel, l’instigateur des inénarrables leçons de morale à destination des écoliers. Il confirme au passage qu’on a tout à craindre de la future morale laïque dont il avait d’ailleurs annoncé la couleur, avec des accents qui sentent la blouse grise et les bataillons scolaires : «  Nous devons aimer notre patrie (…) Apprendre notre hymne national me semble une chose évidente.  » (JDD 01/09/2012)

L’emploi de ce possessif - « notre  » patrie, «  notre  » hymne - comme «  chose évidente  » montre au passage le peu de cas que fait le ministre de la liberté de conscience, celle des élèves, des familles, des enseignants et de l’exercice de l’esprit critique quand il s’agit d’un concept - la nation - qui pourtant ne va pourtant pas de soi et se révèle d’ailleurs à l’usage tellement brumeux et inconstant que ses thuriféraires se sentent tenus de le protéger par la force  : depuis 2003, la mise en cause des symboles nationaux est érigée en «  outrage  » et passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende (Ldh, Toulon). Avec ce qui ressemble à un délit de blasphème, la république, si fière de sa laïcité, n’a guère de leçons à faire aux Musulmans blessés par les caricatures de Mahomet …

Si c’est une des justifications de l’école que d’intégrer un enfant à un groupe, à une collectivité, on ne voit pas pourquoi cette intégration devrait s’accomplir, se limiter, trouver son achèvement dans le cadre étroitement borné et jamais défini d’une nation qui n’est jamais qu’un pointillé sur une carte et construction intellectuelle arbitraire. Lorsqu’un enfant sort du ventre de sa mère, il est garçon ou fille et c’est déjà bien, pourquoi voudrait-on absolument qu’il devienne un « Français », plutôt que, tout bêtement, un homme ou une femme ? On voit très bien que si l’école joue parfaitement son rôle lorsqu’elle travaille à intégrer des enfants à un groupe, une classe, un établissement, lorsqu’elle favorise l’entraide, la coopération entre les élèves – préoccupations que, d’ailleurs, elle ignore le plus souvent - au-delà, elle investit le champ de la conscience individuelle, du libre-choix personnel, domaines sur lesquels son intervention n’est plus légitime. A-t-on encore le droit de considérer que les nations et leurs symboles n’ont jamais apporté rien d’autre aux siècles passés, et au nôtre encore, que des peurs, des haines, des guerres et de ruineux budgets militaires ? A l’école, manifestement, le libre-arbitre n’est pas le bienvenu.

Naïve, cette obsession française pour les symboles nationaux et leur enseignement l’est certainement, comme s’il suffisait de faire s’époumoner des enfants sur le sang impur qui abreuve les sillons, pour former des citoyens. Naïve, certes mais pas seulement car l’apprentissage règlementaire de la Marseillaise obéit à une autre préoccupation peu avouable pour un responsable politique mais non moins évidente : mettre l’accent, à l’école, sur le côté formel des symboles de la république permet d’éviter tout questionnement, plus hasardeux, sur la justice sociale, un concept sur lequel la république n’est probablement pas irréprochable. Pas davantage qu’elle ne l’est sur le caractère démocratique de ses institutions ou sur son respect des droits de l’homme, en dépit de l’étiquette de « patrie des droits de l’homme » qu’elle s’est abusivement attribuée. Un abus de langage qui renvoie à la sempiternelle confusion entre nation, république, démocratie, trois notions qui ne se recoupent pas. L’attachement aux symboles de la république plutôt qu’à l’exercice effectif de ses principes : quelle signification peut avoir la devise républicaine – «  liberté, égalité, fraternité  » - aux yeux des enfants roms brutalement jetés à la rue la veille de la rentrée, leurs jouets, leur cartable éparpillés sur le trottoir ? * La Marseillaise permet également d’occulter que l’école reste l’un des plus redoutables outils de reproduction des inégalités, ce dont tous les gouvernements de droite comme de gauche s’accommodent. La Marseillaise est une escroquerie.

Il était un temps où la Marseillaise à l’école se faisait discrète. On ne s’en portait pas plus mal. C’est au milieu des années 1980, avec les programmes officiels de 1985, rédigés sous la houlette du ministre de l’Education nationale de l’époque (un certain Chevènement) qu’elle a retrouvé son aura et son pouvoir de nuisance. Presque 30 ans plus tard, le paysage politique et intellectuel de la France a beaucoup changé : la xénophobie et le racisme s’expriment librement, la peur de l’étranger est un sentiment largement répandu, l’égoïsme national gangrène l’action politique et l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite fait désormais partie du possible.

Et la Marseillaise, en créant de toutes pièces des réflexes identitaires dans les consciences enfantines, en favorisant le développement de représentations mentales erronées et potentiellement nocives, ne serait pour rien dans cet état de fait ?

Les prochains programmes scolaires sont en cours de rédaction  : ce que l’on sait déjà des intentions officielles en matière de civisme, avec un ministre dont les références idéologiques semblent incurablement calées sur la Troisième république, laisse dubitatif sur les proclamations affichées de rénovation du système éducatif.

 

B. Girard

 

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