Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'école
Publicité
Archives
17 décembre 2012

De l'étoile jaune à l'opération pièces jaunes : dérive mémorielle à l'Education nationale

« L’école a un rôle à jouer dans la transmission de la mémoire auprès des enfants et des jeunes ». Si l’on en croit une récente note de service émanant du ministère de l’Education nationale, la mémoire des élèves risque fort de virer au cafouillage. Un cafouillage qui n’est pas sans arrière-pensée.

La note de service a pour objet « la préparation de la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale (2014-2018) et le soixante-dixième anniversaire des combats de la Résistance, des débarquements, de la Libération et de la victoire (2013-2015), ». Pas moins. Dans cette scabreuse échelle du temps, on échappe de peu au bicentenaire de Waterloo (1815) ou encore au 500e anniversaire de la bataille de Marignan (1515). Cette formulation, rassemblant dans un calendrier mémoriel fantaisiste et arbitraire des faits, des événements sans rapport entre eux n’est sûrement pas de nature à favoriser par les élèves la compréhension du passé. Outre qu’elle privilégie l’aspect purement militaire de l’histoire au détriment des conditions d’explication, elle se signale par des préférences affichées  -  la Deuxième Guerre mondiale vue sous l’angle  des « combats de la Résistance, débarquements, la Libération et la victoire » - alors que Vichy, la Shoah ou Hiroshima sont mis entre parenthèses, quand bien même l’extermination programmée des Juifs ou de toute la population d’une ville japonaise confèrent à cette période un caractère d’exemplarité, qui, précisément, justifie son enseignement. Apprendre l’histoire, même au niveau des élèves les plus jeunes, c’est d’abord apprendre à contextualiser les faits, hiérarchiser les informations, tout le contraire du bourrage de crâne à visée patriotique que prépare cette note de service.

Organiser la confusion, rendre inintelligible, brouiller les repères, relativiser ce qu’au contraire il faudrait mettre en relief, l’Education nationale s’y emploie à travers l’élaboration d’un calendrier annuel - sous la dénomination fourre-tout de « mémoire et citoyenneté » - regroupant un nombre impressionnant de « temps forts », de journées ou de semaines de « sensibilisation », déclinés dans un invraisemblable catalogue à la Prévert. Au cours de leurs 36 semaines de travail, les élèves sont sollicités par des préoccupations aussi diverses et variées que (en vrac) :

- la commémoration de 1918 et 1945,

- la coupe nationale des élèves citoyens, à ne pas confondre avec

- le prix de l’éducation citoyenne,

- le concours des petits artistes de la mémoire (sic),

- la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité,

- la journée nationale de la mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leur abolition,

- le concours des écoles fleuries,

- la journée internationale des femmes,

- le Parlement des enfants,

- l’opération pièces jaunes,

 - etc etc

De l’étoile jaune à l’opération pièces jaunes, chaque élève saura trouver son chemin, à moins que, plus probablement, il ne s’y noie corps et âme.

Dans cette même note de service, le flou artistique qui entoure les notions de mémoire et citoyenneté n’est pas le fait du hasard ou d’une quelconque négligence rédactionnelle : on y apprend en effet qu’ « une mission interministérielle intitulée « Mission des anniversaires des deux guerres mondiales » a été mise en place auprès du ministre de la défense afin d'organiser ces commémorations. » Autrement dit, l’armée se voit promue organisatrice de la commémoration des deux guerres mondiales en milieu scolaire, appuyée par une nébuleuse de comités académiques au sein desquels les associations d’anciens combattants occupent une place de choix. A quel titre, avec quelle légitimité, les responsables militaires interviennent-ils avec un tel aplomb dans ce qui n’est pourtant pas de leur ressort ?  La réponse est à rechercher dans l’étroite collaboration menée depuis un protocole signé en 1982 par les ministères de la Défense et de l’Education nationale, visant à favoriser « l’esprit de défense » chez les scolaires. Une politique jamais démentie depuis trente ans, quelle que soit la couleur politique du gouvernement et renforcée par des textes règlementaires toujours plus contraignants.

Ainsi la circulaire du 13 septembre 2007 affirme d’emblée qu’« au collège et au lycée, l’ensemble des disciplines doit concourir à l’éducation de la défense ». Tout doit être mis en œuvre pour concourir à ce que les responsables appellent une « culture de défense ». Depuis la formation des enseignants, confiée à des « trinômes académiques »  théoriquement placés sous la tutelle du recteur, mais en fait chapeautés par l’autorité militaire territoriale et l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), jusqu’aux programmes scolaires, en passant par les enseignants-chercheurs des universités et les conseils de la vie lycéenne (CVL), l’option découverte professionnelle en classe de troisième, les programmes scolaires, et même le choix des sujets d’examen (au DNB en classe de Troisième) l’armée s’incruste dans l’ensemble des structures éducatives. Une culture de guerre, qui, aujourd’hui, prétend avoir sa place dans l’enseignement de l’histoire.

Si la mémoire des deux conflits mondiaux devait s’inscrire dans le cadre étroit et insidieux défini par l’Education nationale, elle passerait à côté du sujet.

 

B. Girard

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité