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Journal d'école
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29 janvier 2013

Les rythmes scolaires contre l'histoire de France

Réforme des rythmes scolaires ? Ou plutôt tempête dans un verre d’eau ? Ce qui devait être une mesure phare de la loi d’orientation a surtout donné lieu à une très médiatique dénonciation du « corporatisme » supposé des enseignants, une campagne dont la virulence contraste curieusement avec la portée réelle de la réforme en question.

Une mention toute spéciale sera attribuée au Monde (22/01/2013) pour son fracassant éditorial sur le « lamentable corporatisme étriqué » des profs, ces égoïstes jouant leur petit confort personnel contre « l’intérêt des enfants ». Ou encore à Marcel Rufo, le pédopsychiatre à la mode, défenseur auto-proclamé de l’enfant, qui se dit « surpris, voire sidéré, des réactions du corps enseignant ». Sur le même registre, c’est donc un flot continu de réactions convenues, se recopiant les unes les autres, venues de gens manifestement plus doués pour enfiler les lieux communs comme des perles que pour travailler un peu leur sujet.

Car il suffit d’un minimum de recul pour se rendre compte que la question des rythmes scolaires mérite quand même davantage de considération qu’une simple mesure qui, pour l’école primaire, se ramène tout bonnement à revenir cinq ans en arrière (Darcos, 2008), quand les quatre jours et demi travaillés étaient la règle mais aussi – élément totalement occulté dans les débats des derniers jours – ne concerne en rien l’enseignement secondaire, pour lequel la succession souvent infernale des heures de cours dans une même journée ne semble poser aucun problème.

Bref, avec cette refonte a minima des rythmes scolaires, la refondation de l’école attendra.

Une réforme qui aurait eu sans doute davantage d’impact si l’on avait bien voulu, plutôt que de se focaliser sur le rythme hebdomadaire, procéder par une approche portant sur l’horaire global annuel, nettement plus élevé en France que chez nos voisins, une bien curieuse spécificité qui ne semble pas émouvoir plus que cela les défenseurs affichés de l’intérêt de l’enfant : 913 heures annuelles pour les 7-8 ans, 890 heures pour les 9-11 ans en France, contre respectivement 634 et 784 heures en Allemagne ou encore 608 et 683 heures en Finlande, un pays régulièrement classé en tête des comparaisons internationales. Les curieux pourront se reporter aux chiffres disponibles sur Eurydice, l’Agence européenne de l’éducation.

Cette constatation renvoie à une évidence, trop souvent passée sous silence : mais que font donc les élèves pendant tout ce temps, pourquoi leur faut-il une durée de travail plus longue qu’ailleurs pour y apprendre ce que nombre de nos voisins font mieux et en moins de temps ? Une interrogation qui interpelle, bien sûr, la pédagogie, mais plus sûrement encore les contenus de l’enseignement. Quoique la dénonciation de la lourdeur des programmes, le cloisonnement disciplinaire peu adapté aux élèves les plus jeunes, ne soient pas choses nouvelles, on s’avère incapable d’en tirer les conséquences.

Vue sous cet angle, l’histoire à l’école primaire illustre jusqu’à l’absurde les dérives d’un enseignement qui, à force de prescriptions règlementaires, d’exigences en termes de pseudo-savoirs, tourne en réalité à vide. La liste des repères chronologiques exigés en cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2) donne le vertige, brassant dans un bouillon confus, vide de sens, des faits, des dates, sans rapport entre eux, échelonnés depuis l’homme de Tautavel (il y a 450 000 ans) jusqu’à la création de l’euro (2002) : Tautavel, Lascaux, César et Vercingétorix, Alésia, le baptême de Clovis, le couronnement de Charlemagne, Hugues Capet, Jeanne d’Arc, Gutenberg, Christophe Colomb, François Ier, Henri IV, Richelieu, Louis XIV, Louis XVI, Napoléon, Pasteur, Clémenceau etc. J’arrête là pour ne pas lasser le lecteur (la liste complète - pas moins de cinq pages en petits caractères - se trouve au BOEN n°1 du 5 janvier 2012) une énumération qui laissera dubitatif sur le sérieux des campagnes régulièrement lancées dans l’opinion publique par des auteurs en mal de notoriété autour du thème : « on n’apprend plus l’histoire de France à vos enfants »

Les résultats de cet enseignement, qui nécessite pas moins de 78 heures annuelles, sont inversement proportionnels à ses prétentions : l’accent mis sur la « mémorisation » de ces fameux repères chronologiques n’empêche pas, qu’arrivé en sixième, l’élève, soumis à ce bourrage de crâne indigeste a, de toutes façons, tout oublié.

Comment pourrait-il en être autrement avec un enseignement qui réussit à être à la fois lourd en termes d’horaires et vide en termes de savoirs et de compétences, bâti sur une échelle des temps extravagante et inintelligible pour un âge où les notions de décennies, de siècles ou de millénaires ne vont pas de soi ; un enseignement qui ramène la chronologie à une suite de dates arbitrairement choisies, dans un espace très étroitement délimité, celui de la France actuelle ; un enseignement qui n’arrive décidemment pas à se défaire de cette fixation maladive sur le roman national.

La réflexion sur les rythmes scolaires n’avancera pas sans une remise en cause fondamentale de ce type de programme construit sur des représentations héritées du passé, dévoreur de temps pour aucun profit. L’histoire de France peut être sans dommage rayée du cursus scolaire au profit d’un enseignement qui tiendrait compte non seulement des apports de l’historiographie depuis plus d’un siècle mais aussi d’un questionnement sur la finalité de l’histoire pour de jeunes élèves et des pédagogies à mettre en œuvre : pour se situer dans le monde d’aujourd’hui, la chevauchée de Jeanne d’Arc ou le baptême de Clovis sont-ils vraiment des « repères » pertinents ? La mémorisation mécanique de dates est-elle la seule forme d’apprentissage et le préalable indispensable à une véritable compréhension d’un passé dont nul ne peut prétendre sérieusement qu’il se réduit à des batailles ou à des querelles dynastiques.

Cette interrogation, partagée de longue date par nombre d’enseignants, de chercheurs, d’historiens, n’a manifestement pas encore trouvé sa place dans le débat sur la refondation de l’école, pas davantage que dans l’avant-projet qui en est sorti. Elle achoppera de toute façon sur la volonté politique et le courage des décideurs, vertus qu’on n’a guère à attendre d’un ministre de l’Education nationale dans la lignée de ses prédécesseurs, très préoccupé ces derniers mois, de vanter les vertus du patriotisme et des leçons de morale.

 

Voir aussi sur Rue89

B. Girard

 

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Commentaires
B
Les « à-côté chronophages » ? L’enquête de l’OCDE, parue hier, devrait faire réfléchir : contrairement à ce qui est entendu un peu partout, elle montre que le français et les maths occupent à eux seuls en France, 58% du temps scolaire à l’école primaire, c’est-à-dire en moyenne deux fois plus de temps que dans la plupart des pays de l’OCDE. Et ce, pour des résultats pas spécialement brillants. F. Jarraud parle de « l’obsession des fondamentaux ». Le temps ne devrait donc pas faire défaut pour l’histoire, la musique et tout le reste. <br /> <br /> <br /> <br /> Vous avez raison de citer Braudel et sa Grammaire des civilisations, malheureusement restée sans lendemain dans les programmes scolaires et je partage aussi votre opinion selon laquelle connaître le passé permet « d'appréhender le monde contemporain ». Mais, justement, on aurait bien du mal à comprendre le monde contemporain à partir de l’histoire politique nationale, celle de l’école primaire, centrée sur un espace territorial limité et complètement artificiel. La chronologie politique nationale, les listes de rois ou de présidents ne donnent aucun repère, l’histoire de Louis XIV ou celle de Jeanne d’Arc n’est pas « notre » histoire, mais uniquement celle de Louis XIV ou de Jeanne d’Arc. Placer le règne de Louis XIV à l’époque de Gengis Khan est-il plus grave que de ne rien savoir sur l’histoire des sciences et des techniques, de l’agriculture ou de l’industrie, en un mot de tout ignorer de la vie des hommes ? C’est bien le problème : comment de jeunes élèves peuvent-ils passer de si longues heures sur l’histoire, pour, au final ne rien connaître du passé ? Logique : on ne leur a fourni aucune clé pour comprendre le présent. A titre d’exemple, puisque vous évoquez votre formation d’économiste, il me semble que l’on serait sans doute mieux armé pour comprendre l’émergence de « nouvelles » puissances industrielles comme la Chine, si l’on avait conscience que la Chine, dans un passé pas très lointain faisait partie du monde dominant. Encore faudrait-il lui réserver autre chose que les trois petites heures auxquelles elle a droit dans le programme d’histoire de Sixième. <br /> <br /> <br /> <br /> Des « jalons marquants », certes mais qui marquent vraiment, qui fassent sens, ce qui n’est pas le cas de la chronologie nationale. <br /> <br /> <br /> <br /> Quant aux « valeurs actuelles » de la France que vous évoquez, il s’agit bien sûr d’un point de vue subjectif, respectable mais qui n’est pas le mien : pour ce qui me concerne, des valeurs propres à la France, je ne les ai jamais rencontrées.<br /> <br /> <br /> <br /> « Quels programmes scolaires», demandez-vous ? C’est un sujet débattu depuis longtemps chez les historiens et les enseignants, souvent inaudible des politiques et de l’opinion publique mal informée. C’est, par exemple l’objet du collectif Aggiornamento, qui fait un travail de qualité sur le sujet. Si vous êtes intéressé, je vous recommande également les recherches menées sur l’histoire globale, un concept relativement nouveau en France mais pas dans les pays anglo-saxons, et qui ouvre des horizons insoupçonnés à l’histoire et à son enseignement.
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E
Tombé un peu par hasard sur votre blog, je suis partagé au sujet de vos commentaires. Que l'école primaire ait besoin d'une solide refondation, cela ne fait aucun doute. Mais laquelle? historien et économiste de formation, j'ai deux enfants en primaire et, quoi que vous puissiez écrire par ailleurs, le niveau général est nettement plus faible qu'il y a 30 ans. Dans toutes les matières. Mais est-ce parce que mes enfants travaillent moins que je ne le faisais? non. Mise à part cette absurdité de journée de 4 jours (sans alléger les programmes), leur charge de travail ne me paraît pas tellement plus légère. Mais plus disparate, assurément. Aux matières traditionnelles se sont ajoutés des à-côtés chronophages, fruits des lubies des ministères (de gauche comme de droite) qui se sont succédés. <br /> <br /> Je ne vais pas refaire ici le programme dans son entier, mais cela explique la déréliction de l'enseignement de l'Histoire. Sur les 78 heures que vous mentionnez, je ne sais pas combien il en reste pour, en CM1, passer de la fin de l'Antiquité à celle des Temps Moderne. Absurde, évidemment. Alors que faire? Braudel avait suggéré une "grammaire des civilisations" passionnante, mais destinée aux lycéens. C'est ce vers quoi devrait tendre l'enseignement de l'Histoire : connaître le passé pour donner les moyens d'appréhender le monde contemporain. Mais avant cela, il faut des repères et ces derniers se trouvent d'abord dans le cadre national. Parce que la France, sa géographie, son organisation et ses valeurs actuelles sont le fruit de son Histoire nationale. Et aussi parce qu'il s'agit d'un cadre familier pour des enfants qui sont encore en train d'apprendre à se situer dans le temps et l'espace. L'Histoire de France ne constitue pas l'alpha et l'omega de la connaissance historique mais, pour des enfants vivants en France, il s'agit d'un socle leur permettant de mieux comprendre le pays dans lequel ils grandissent et d'appréhender le monde qui l'entoure. <br /> <br /> Sinon j'entends bien votre critique - et je m'y rallie concernant en particulier cette mode ridicule de la "morale républicaine" - mais je ne vois pas très bien ce que vous proposez concrètement comme programme. Si la chronologie sèche est rébarbative et inutile car vite oubliée, il n'en demeure pas moins que des jalons marquants sont indispensables car ils seront autant de bornes qui permettront de situer les autres civilisations dans le temps. Cela permettra d'éviter de certains croient que Louis XIV s'était allié avec Genghis Khan qui, grâce à son train blindé, a traversé la Sibérie pour soumettre Moctezuma...
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