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Journal d'école
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25 avril 2013

Morale laïque : le ministre commande un rapport et s'assied dessus

A l’Education nationale, le schéma est classique : en septembre dernier, Vincent Peillon annonce à la surprise générale la mise en place prochaine dans les établissements scolaires d’une nouvelle discipline scolaire, la morale laïque ; mesure approuvée comme il se doit par un miraculeux sondage (91 % des sondés approuvent l’initiative) ; mais comme il faut bien enrober la chose d’une apparence de concertation face à la grogne et aux railleries qui commencent à remonter du terrain, le ministre charge une commission – dont il nomme lui-même les membres – de réfléchir au sujet et de lui faire part de ses conclusions. Autrement dit, la concertation après la décision, rien que de très habituel dans le petit monde de l’enseignement.

Dans cette mise en scène bien huilée, la publication du rapport (le 22 avril), devait toutefois réserver un certain imprévu, ses conclusions n’allant pas précisément dans le sens attendu par le commanditaire.

Avec constance, tout au long des 66 pages du rapport, les auteurs semblent prendre un malin plaisir à se démarquer des conceptions moralisatrices défendues par Vincent Peillon, avec son ode au « redressement moral » de la jeunesse.  En gommant la notion de  « morale laïque » au profit d’un « enseignement laïque de la morale », le rapport prend le contre-pied des préférences traditionnelles affichées par Peillon pour un « enseignement qui inculque des valeurs »  :  tout au contraire, écrivent les rapporteurs, « la morale  commune ne peut plus, à l’image de la morale laïque du passé, prescrire et imposer la conception d’une vie bonne, ce qui reviendrait à imposer une conception du bien parmi d’autres en violation de la neutralité laïque. » Le rapport semble même prendre ses distances à l’égard d’une évolution perceptible ces dernières années dans les établissements scolaires « … qui a vu insensiblement glisser la laïcité du côté des devoirs des élèves (…) La neutralité est celle des agents et non des élèves ». Un rappel qui ira droit au cœur des jeunes filles exclues de leur école pour cause de foulard …

Pour faire bonne mesure, le rapport se montre également critique à l’égard de la forme que devrait prendre cet enseignement : face à la volonté du ministre d’en faire une « discipline à part entière [qui] sera notée », les rapporteurs défendent une approche pluridisciplinaire : « Il ne serait pas fondé de faire de l’enseignement de la morale une discipline comme telle, qui s’ajouterait ou se substituerait à l’éducation civique (…) Au collège et au lycée, cela contribuerait à accentuer l’empilement des disciplines (…) Car l’enseignement de la morale ne peut qu’être un projet collectif qui demande une démarche éducative plurielle. » En outre, dans le cadre d’un réaménagement des rythmes scolaires, l’ajout d’une discipline supplémentaire qui viendrait alourdir les programmes ne parait pas spécialement pertinente.

Toutes ces réserves, aussi bien sur le fond que sur la forme, n’ont toutefois pas empêché Vincent Peillon de se répandre aussitôt dans les médias – c’est le dernier acte de la mise en scène – pour annoncer que « la morale laïque » – en primaire et en collège – « ferait l’objet de cours où les élèves ne feront que cela » avec évaluation finale. A-t-il seulement lu le rapport ?  Ultime promesse mais qui ressemble à une provocation : les enseignants devraient être « consultés »  dans le cadre de la préparation des futurs programmes, comme si un ministre de l’Education nationale avait besoin de consulter quand  les décisions sont prises à l’avance.

Sur l’éducation civique ou morale, la fixation maladive dont les politiciens de droite comme de gauche ont toujours fait preuve interpelle : car après tout, Peillon ne fait rien d’autre  que « rétablir » ce que Chatel et Darcos, mais aussi la plupart de ses prédécesseurs ont « rétabli » avant lui et l’UMP a déjà annoncé qu’elle « rétablirait » une éducation civique « renforcée » à son retour au pouvoir. Cette posture équivaut à tenir pour quantité négligeable non seulement ce qui se fait aujourd’hui dans le cadre institutionnel par exemple en collège ou encore en lycée avec l’ECJS mais plus simplement dans la relation quotidienne que beaucoup d’enseignants cherchent à entretenir avec leurs élèves, des relations où les exigences de respect, d’attention aux personnes, d’entraide, contribuent sans doute à faire grandir plus efficacement que les leçons de morale.

Le rapport pour un enseignement laïque de la morale le reconnaît d’ailleurs implicitement, en appelant à des pratiques sociales et scolaires qui restent encore marginales : « Des pratiques de coopération favorisant l’autonomie dans le rapport aux règles (il s’agit de faire vivre ces règles) tout en contribuant à un but commun. Elles supposent des capacités d’écoute, d’entraide, de respect des autres, y compris dans leurs difficultés et leur faiblesse. La prise de responsabilité est un levier pour instaurer une relation de confiance entre l’enseignant et les élèves, entre les élèves eux-mêmes ; elle permet de développer le sens de l’intérêt commun. »  Mais si ces pratiques de coopération sont toujours aussi peu répandues dans les établissements, l’Education nationale n’en porte-t-elle pas la responsabilité ?

Inévitablement et malgré des avancées dont on risque d’attendre longtemps la concrétisation, le rapport s’enferre lourdement dans la rhétorique habituelle, et naïve, reliant l’Ecole et la République. Liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité, absence de discrimination, autant de valeurs qui seraient sans doute plus crédibles si la République, au lieu d’en faire des leçons de morale à destination des élèves, s’efforçait de les pratiquer au quotidien. Les champs d’application  ne manquent pas : chômeurs en situation précaire, immigrés sans droits, Roms à la rue, sans-papiers en rétention, campagne massive et haineuse contre les homosexuels, politiciens malhonnêtes, la République devrait en rabattre dans sa prétention de s’ériger en éducatrice, de faire la leçon aux enfants des écoles, surtout quand le système éducatif lui-même est perçu par ceux qui y sont en échec comme un outil de discrimination.

Malgré les injonctions officielles, l’éducation civique tournera à vide tant que les valeurs proclamées par ses institutions seront aussi éloignées de la réalité.  

 

B. Girard

 

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