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Journal d'école
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25 septembre 2014

Entendu à la radio : "le djihadisme, c'est la faute à l'histoire au collège"

Le refrain n’est pas nouveau mais à la longue, il inquiète : il y a deux ans déjà,  un député UMP de la Droite populaire, dans une intervention tout ce qu’il ya de plus officielle à l’Assemblée nationale, avait cru judicieux d’imputer la responsabilité du terrorisme à l’Ecole et plus spécialement aux programmes d’histoire, accusés de cultiver chez les élèves « la haine de soi, la repentance en permanente » - en germe, assurément chez les apprentis-terroristes – ajoutant « […] on a voulu faire apprendre à des préadolescents, alors qu’ils ne connaissent pas l’histoire de leur pays, celle des grands peuples [du monde]. »

Une accusation certes saugrenue mais qui pourtant s’est banalisée au point de trouver sa place, sans complexe, sur une radio généraliste – Europe 1 – à une heure de grande écoute, qui, ce jour-là, à défaut d’informer ses auditeurs, a choisi de les effrayer avec ce titre anxiogène à souhait, dont raffolent les médias : « la France, une fabrique de djihadistes » (à partir de la 56e minute). Pour faire bonne mesure, la radio n’a trouvé meilleur invité, que … Dimitri Casali, qualifié de« spécialiste de l’enseignement », pas moins. Casali n’est pas inconnu : chaque année ou presque, à pareille époque, il a quelque chose à vendre, toujours sur le même thème, un livre vite écrit, jamais documenté et qui reflète l’obsession, l’idée fixe de l’auteur : depuis que l’école a renoncé à enseigner l’histoire de France à ses enfants, les enfants tournent mal. Voilà la source du terrorisme et de sa version à la mode, le djihadisme. Au micro d’Europe 1, Casali se laisse aller : « la faillite de l’intégration actuelle – explique-t-il doctement – c’est que l’Education nationale n’a pas su faire aimer la France, faire des citoyens français fiers de leur passé. » Et sa noble fureur de donner libre cours à une attaque en règle contre les programmes d’histoire de collège accusés d’éveiller chez les élèves l’image de Français « ignobles esclavagistes [en classe de cinquième], infâmes colonialistes [en quatrième], pauvres collaborateurs [en troisième] », bref de façonner chez les collégiens « un esprit de détestation de soi. » Pas moins. Pour Casali, donc, la chose est entendue : des programmes d’histoire criminels font de trois millions de collégiens autant d’apprentis terroristes potentiels.

… Sauf que les collégiens en question, et leurs enseignants, auraient bien du mal à retrouver dans leur apprentissage quotidien d’histoire la trace d’on ne sait trop quel complot anti-français dénoncé par ce spécialiste auto-proclamé de l’enseignement de l’histoire mais qui n’a manifestement pas mis les pieds dans une classe de collège depuis de longues années. La simple consultation des programmes officiels, documents publics, suffit à disqualifier un discours que rien ne vient étayer, sinon la véritable phobie de son auteur – ressassée dans chacun de ses écrits -  pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’Islam, au monde arabe et à la colonisation. Alors que Casali en fait la pierre angulaire des programmes, la question de l’esclavage comme celle de la colonisation n’occupent pourtant qu’une part infime des programmes de collège, dans une approche qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’image caricaturale qu’il en donne, celle d’une tare spécifiquement française dont il faudrait faire « repentance » : phénomène universel et de tous les temps pour l’esclavage, illustration des rapports de force dans le monde à certaines époques pour la colonisation, c’est ce que le cours d’histoire cherche plus modestement à faire appréhender par les élèves. Mais la compréhension du monde est bien la dernière des préoccupations de Casali, enfermé dans une conception de l’histoire réductrice et obsolète, reflet de considérations exclusivement identitaires : « faire aimer la France, faire des citoyens français fiers de leur passé. »

Sur le fond, cette nouvelle élucubration d’un auteur en mal de notoriété dépasse très largement le débat légitime sur les programmes scolaires et la finalité de l’enseignement de l’histoire. Mais, outre que dans le cas présent le débat est escamoté derrière une enfilade d’affirmations péremptoires et dénuées de sens, la question qui se pose, avec une acuité grandissante, est celle de la publicité, de la notoriété attribuées sans scrupules – et le plus souvent avec complaisance - par les médias, aux opinions les moins fondées, les moins légitimes et les plus dangereuses.  Même si l’on peut comprendre que la rédaction d’Europe 1 ne soit pas au fait des querelles récurrentes sur l’histoire scolaire, cela ne justifie pas que, sur ce sujet, la parole se trouve confisquée par un intervenant, abusivement qualifié d’historien et d’enseignant, quoiqu’il ne soit ni l’un ni l’autre, qui profite de cette tribune et des nombreuses autres qui lui sont généreusement offertes pour populariser, comme si de rien n’était, des opinions potentiellement malsaines, construites sur des représentations tronquées du passé.

Car dans le climat actuel d’un pays en proie à ses mauvais démons, vouloir à toute force réhabiliter le vieux roman national fondé sur la constitution d’un peuple unique perpétuellement menacé par l’envahisseur n’est pas une simple maladresse : c’est un choix idéologique lourd de sens.

 

B. Girard

voir aussi sur Rue89

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Commentaires
F
Ce monsieur s'insurge-t-il avec la même vivacité vis-à-vis des, journalistes sans doute influencés par leurs cours de collège sur l'Empire, qui usent et abusent des références à la barbarie ? <br /> <br /> C'est sans doute aucun la faute au collège, puisque même la FSU reprend sans sourciller le terme dans sa nécessaire indignation face à l'assassinat d'Hervé Gourdel http://www.fsu.fr/Herve-GOURDEL.html "meurtre barbare" "le combat contre la barbarie et le terrorisme".
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