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Journal d'école
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4 décembre 2014

"Les héritiers" et le concours de la Résistance : un film pour se donner bonne conscience

C’est sans doute un film plein de bonnes intentions : « Les héritiers », sur les écrans cette semaine, relate l’histoire – paraît-il réelle – d’une classe difficile d’un lycée de banlieue, magiquement transfigurée en modèle d’intégration républicaine par la participation au concours national de la Résistance et de la Déportation. Ce concours, auquel s’inscrivent chaque année quelques dizaines de milliers de lycéens et de collégiens de Troisième, fait figure, depuis plus d’un demi-siècle, de concours officiel de l’Education nationale, très officiel même, les enseignants d’histoire-géographie faisant chaque année l’objet de sollicitations répétées de la part de leur hiérarchie ; y cédant, parfois par conviction mais le plus souvent avec l’espoir que leur participation valeureuse leur rapportera bien un demi-point supplémentaire lors de leur prochaine notation administrative.

Pourtant, le concours de la Résistance traîne derrière lui une longue et singulière histoire dont l’origine se retrouve jusque dans l’organisation actuelle. L’initiative en revient à Lucien Paye, ministre de l’éducation de de Gaulle qui, en 1961, souhaite inscrire la participation des élèves dans une vaste « célébration du souvenir des déportés et des résistants »  dont les attendus, précisés par une circulaire du 11 avril 1961 sont on ne peut plus explicites : il est question d’ « exalter le sacrifice et de rappeler les souffrances des héros et des martyrs (…) de se souvenir des heures les plus pures de la gloire française (…),d'évoquer le souvenir de sacrifices très purs et héroïques dans le combat livré pour que les jeunes Français puissent vivre libres et fraternellement unis dans la patrie retrouvée. » Autrement dit, la mémoire de la résistance sera patriotique, militaire et gaulliste, ce qui est pour le moins réducteur mais conforme à la volonté des premiers partenaires où domine l’influence du ministère de la Défense et des associations d’anciens combattants.

Et, de fait, les thèmes du concours imposés aux élèves qui s’y inscrivent reflètent, malgré une évolution récente quoique limitée, toutes les ambigüités de son origine.  Remarquable, de ce point de vue, le grand silence qui entoure le régime de Vichy et la collaboration française au nazisme. Il faut en effet attendre 1987 pour que les candidats découvrent, au hasard du sujet de l’année « l’utilisation massive de la presse et de la radio par les collaborateurs. » La référence Pétain et à l’état français n’intervient que quatre fois (1987, 1988, 1993 et 2011) dans le demi-siècle d’existence du concours, une omission qui éclaire d’un jour singulier les motivations profondes des organisateurs, manifestement plus soucieux d’autocélébration que de vérité historique.

Il a fallu en effet plusieurs décennies avant que la France n’accepte de faire rentrer dans le récit de son histoire, puis dans les programmes scolaires, l’épisode de Vichy et la reconnaissance d’un antisémitisme français. « Nuit et brouillard », le documentaire d’Alain Resnais, censuré en 1956, « Le chagrin et la pitié », de Marcel Ophüls, interdit de télévision en 1969 : rien ne devait venir ternir l’image officielle d’une France toute entière dressée contre l’occupant allemand. Le « mythe résistancialiste », à l’origine du concours de la Résistance, ne commencera à se lézarder que sous les regards de l’étranger, avec, notamment, les travaux d’historiens américains comme Robert Paxton (« La France de Vichy », 1973), Raul Hilberg (« La destruction des Juifs d’Europe », paru à Londres dès 1961 mais dont la traduction française devra attendre 1988) ; en 1983 encore, « Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France » vaudra de profondes inimitiés à son auteur, l’historien israélien Zeev Sternhell.

De façon symptomatique, par une de ces coïncidences chronologiques qui ne doit pas grand-chose au hasard, la création du concours de la Résistance est strictement contemporaine de la remise par de Gaulle de la croix de commandeur de la légion d’honneur à son préfet de police, Maurice Papon : l’hommage de l’ancien chef de la France libre à un collaborateur notoire, responsable, en 1942, du service des questions juives à la préfecture de Bordeaux, ne devait pas manquer d’impressionner profondément les lycéens, à défaut de les instruire sur ce que fut réellement cette période de l’histoire… Au demeurant, dans la thématique du concours, la prééminence attribuée à de Gaulle est un fait jamais démenti, comme si, face à un mouvement de dictature objectivement inhumain comme le nazisme, il ne pouvait être d’autre résistance que celle incarnée par un personnage qui, pourtant, de toute la guerre, n’a guère montré de réelles préoccupations pour ce qui se passait alors dans les camps d’extermination. Mais il est vrai qu’à travers l’ensemble des programmes officiels d’histoire, primaires et secondaires confondus, de Gaulle – indéboulonnable tabou de l’histoire scolaire - fait l’objet de considérations plus souvent hagiographiques que réellement historiques.

Les préalables étant ainsi définis d’autorité, la pédagogie du concours se trouve également soigneusement verrouillée par la formulation des sujets imposés aux candidats, qui se voient conduits à mener une enquête sur une question dont on leur fournit la réponse, explicite ou implicite. Exemples :

- « la France a été libérée en 1944. Que pensent les jeunes Français d’aujourd’hui du rôle de la Résistance et des jeunes d’alors dans ce grand événement historique ? » (1974)
- « que représente pour les jeunes d’aujourd’hui l’action de la Résistance française de 1940 à 1944 ?  » (1977)
- « pourquoi ces événements historiques méritent-ils de demeurer vivants dans la mémoire des Français ? « (1980)
- « en quoi les héros de la Résistance méritent-ils que survive leur souvenir ? »(1983)
- «  pourquoi des faits historiques tels que la déportation des résistants et leur emprisonnement dans les camps de concentration nazis doivent-ils survivre en notre mémoire en cette fin du XXe siècle ? En quoi importent-ils à notre avenir ? » (1985)
- « en quoi les jeunes Français sont-ils encore, en 1986, bénéficiaires de ces combats ? Comment peuvent-ils, de manière différente évidemment, assumer les mêmes responsabilités ? » (1986)

Même si, ces dernières années, des sujets plus ouverts ont pu, ponctuellement, être proposés aux candidats, il apparaît bien que leur formulation, faussement naïve, étroitement sélective, n’est guère susceptible d’amener les élèves non seulement à une véritable connaissance historique, mais à une prise de conscience de ce qui rend possible, dans un contexte donné, le réflexe de résister. Le concours de la Résistance, tout empêtré dans son apologie des « héros » et de la défense d’une hypothétique patrie,  est conçu de telle sorte – et ce n’est pas un hasard, vu ses origines – qu’il passe à côté de l’essentiel : pourquoi les Français de 1940 se sont-ils massivement laissés compromettre, au moins tacitement, avec le nazisme et la collaboration ? Mais surtout, puisque ce concours affiche des préoccupations morales et civiques,  quelles valeurs faut-il travailler aujourd’hui, notamment à l’école, et avec quels partenaires, quelle pédagogie, pour permettre la construction de personnalités suffisamment lucides pour débusquer les mensonges de l’autorité et trouver le courage de s’y opposer ? Sacraliser la Résistance, comme c’est le cas avec ce concours, n’est guère alors qu’une imposture supplémentaire dans la barque, déjà chargée, des commémorations historiques à grand spectacle.

 

B. Girard

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