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Journal d'école
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13 janvier 2015

Les valeurs de la république à l'école ? Un discours à côté de la plaque

C’était attendu : partant des difficultés rencontrées – ou créées ? - dans un certain nombre d’établissements par une malencontreuse minute de silence, medias et politiques, sous la houlette d’un Premier ministre jouant les matamores, ont trouvé les responsables de l’épisode terroriste de la semaine écoulée : l’école.  13 millions d’élèves transformés en autant de terroristes potentiels sous les yeux d’enseignants déboussolés, effrayés par un tel ensauvagement. Remercions Europe 1 de nous ouvrir les yeux sur cette vérité accablante : « l’école capitule ».

Informer son public sans chercher à s’informer au préalable ? C’est une posture courante dans le milieu journalistique, notamment lorsqu’il s’agit de questions complexes comme l’est par exemple l’éducation. Dans le cas présent, il est trop facile d’extraire de leur contexte des paroles d’élèves, de pointer des comportements, de généraliser des cas particuliers, pour finalement dénoncer une situation qui n’a rien à voir avec la réalité.  Des élèves musulmans choqués par les caricatures de Mahomet ? En quoi est-ce illégitime ? Et pourquoi faudrait-il leur interdire d’exprimer leurs sentiments ? Les enseignants sont ici parfaitement dans leur rôle d’éducateur lorsqu’ils laissent libre la parole, la canalisent, mais la reprennent à leur tour pour amener l’élève à comprendre que le problème posé n’est pas celui de la caricature mais de l’assassinat programmé du dessinateur. On n’est certes pas ici dans le registre de la leçon de morale surplombante et des élèves au garde-à-vous mais dans un travail patient et de longue haleine pour aider l’élève à se construire progressivement une conscience morale personnelle. Un travail qui ne s’arrête pas comme magiquement jeudi sur le coup de midi mais  un travail de tous les jours, repris inlassablement tout au long de la scolarité.

Vue sous cet angle, la minute de silence règlementaire s’avère ici au mieux dérisoire, au pire contreproductive. Une nouvelle fois, l’Education nationale oublie à qui elle s’adresse : non pas à des élèves enfermés dans une identité religieuse indépassable mais à des adolescents portés naturellement à la contestation, à la dérision, à la provocation. Et, de fait, c’est une évidence souvent constatée que les minutes de silence officielles, comme les autres rituels imposés par voie administrative ont souvent été mal reçus, plus spécialement peut-être en collège qu’au lycée ou à l’école primaire, quel que soit d’ailleurs le motif du jour : de ce point de vue, il n’y a guère de différence entre les réticences relevées jeudi dernier et le faible investissement marqué par les élèves au cours de temps de recueillement artificiellement construits, par circulaires interposées, autour d’un séisme en Haïti ou de tsunamis meurtriers. Ce n’est pas des morts qu’on se moque, juste un besoin maladroit de se faire valoir aux yeux des copains, aux yeux du prof. Parce qu’à 13 ou 14 ans, on est comme ça.

Dans ce contexte, la publication par le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) d’une note sur l’ « apprentissage de la citoyenneté dans l’école française » apparaît très opportune, même si l’on doute que, les pesanteurs étant ce qu’elles sont, ses préconisations puissent voir le jour. Alors que la France « est le seul pays européen à dispenser pendant douze années consécutives un enseignement à la citoyenneté obligatoire », la note pointe parallèlement le saisissant décalage avec la réalité du terrain, un enseignement « de façade », sans rapport avec le vécu quotidien des établissements : « les valeurs citoyennes de la république apparaissent hors sol et désincarnées. »  Et de mettre en avant l’exemple des pays anglo-saxons où «  ce sont les participations des jeunes dans des projets et débats citoyens dans leur école, plus que le suivi de cours d’éducation civique, qui sont en lien positivement avec les indicateurs d’attitude, d’engagement et de socialisation citoyenne des plus jeunes… »

Il faut dire qu’en matière de prescription civique, l’école française dépasse de très haut tout ce qu’on peut voir ailleurs : éducation civique, instruction civique, éducation civique juridique et sociale, leçons de morale, morale laïque, symboles nationaux réaffirmés à tous les étages de la scolarité (la Marseillaise apprise par cœur, debout et « avec respect », drapeau tricolore sur le fronton des établissements), charte de la laïcité placardée sur les murs, sans oublier ces cérémonies patriotiques au cours desquelles la présence d’enfants au garde-à-vous est toujours du meilleur effet aux yeux des autorités locales. On ne serait guère surpris si, dans les jours qui viennent, les responsables politiques, jamais à cours d’imagination en la matière, ne trouvaient dans les événements des jours derniers le prétexte à en rajouter une couche, avec cette croyance, profondément incrustée dans la croyance (et la mauvaise foi) populaires aux vertus magiques du discours civique à destination des élèves.

Car le civisme, c’est juste bon pour les élèves. Confrontés aux événements dramatiques de la semaine passée, l’opinion publique et ses dirigeants préféreront toujours se réfugier dans un imaginaire confortable à courte vue plutôt que d’affronter la réalité. Et la réalité de l’école, elle est connue de longue date : ce qui sape le vivre-ensemble, ce n’est pas une religion, ni même un foulard sur la tête de quelques jeunes filles, mais la discrimination sociale et ethnique à l’œuvre dans un système éducatif qui, en dépit des discours, reste profondément élitiste, promettant le succès pour quelques-uns, l’opprobre et la stigmatisation pour beaucoup d’autres.

Une minute de silence perturbée, ce n’est pas une guerre de civilisations mais un appel à éduquer autrement.

 

B. Girard

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