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Journal d'école
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4 mars 2015

Dernière initiative de l'Education nationale : un "parcours citoyen" qui sent la caserne

La récente publicité lancée par l’Education nationale autour du « parcours citoyen » des élèves, sa dernière fantaisie – en attente de la prochaine – décline, parmi ses objectifs, la « préparation en amont de la Journée défense et citoyenneté », une exigence très spécifique de l’éducation civique à la française : à défaut de préparer les jeunes à la guerre, l’école se voit assigner pour mission de la leur faire accepter comme allant de soi. Hasard du calendrier ? Rapprochement spécieux ?  Cette publication et le silence qui l’entoure interviennent dans un bruyant contexte guerrier : en France, l’éducation à la défense dispensée à l’école suscite aussi peu de réserves que la décision prise par un seul homme - le président de la république - de lancer un porte-avions nucléaire contre des terroristes ou de faire acquérir par un pays pauvre de ruineux bombardiers. Dans la société française, la paix et la guerre restent le fait du prince ; à l’école, un tabou.

Depuis 1982, l’éducation à la défense dispose d’un programme spécifique défini par un protocole d’accord entre le ministère de l’Education et celui de la Défense, le dernier en date remontant à 2007. Lointain avatar de la conscription, cette collaboration résultait à l’origine de la volonté d’un ancien ministre de la Défense (le socialiste Charles Hernu, resté célèbre dans les annales pour sa responsabilité dans l’attentat contre le Rainbow Warrior, un navire de Greenpeace) de confier à l’Ecole la mission de  « préparer les jeunes » au service militaire alors obligatoire : « Il faut arriver à l’armée préparés – affirmait-il - et préparés par l’école, le lycée et l’université. Il faut une symbiose avec l’Education nationale. » Une symbiose assurée depuis la « suspension » du service militaire par ce protocole du 31 janvier 2007, que l’actuel président de la république, dans le but de répondre à l’une de ses préoccupations électorales de 2012 – une des seules qui lui tienne manifestement toujours à cœur - s’emploie aujourd’hui à renforcer.

C’est ainsi que par la magie d’un document administratif jamais discuté, l’Ecole se voit attribuer une mission guère différente de celle de l’armée : « Les deux grandes institutions républicaines que sont l’Education et la Défense partagent cette triple exigence de dispenser des savoirs, de développer des capacités à les appliquer et de former aux attitudes civiques indispensables (…) », objectif qui se trouve concrétisé dans les établissements scolaires par la mise en place d’un « parcours de citoyenneté » balisé par diverses obligations imposées aux jeunes : le recensement et la participation à la fumeuse et burlesque « Journée défense et citoyenneté » ou encore la participation aux commémorations militaires (appelées depuis peu « patriotiques »).  Conséquence de la disparition du service militaire, c’est aux enseignants que revient dorénavant la charge « de former les jeunes aux principes de notre défense (…) de les préparer à leur devoir de défense. »

« Notre défense … devoir de défense » ? Mais de quel devoir et de quelle défense s’agit-il, alors que l’une comme l’autre ne sont jamais définis ni discutés ? En réalité, le principe même de l’éducation à la défense en milieu scolaire se trouve biaisé par le refus de ses initiateurs de poser au préalable, pour les soumettre à critique, les seules questions susceptibles de la justifier : qu’avons-nous à défendre, de quelle manière, contre quels dangers et dans le cadre de quelle collectivité ? Or, dans le cas présent, il faut bien comprendre que ce protocole Education – Défense impose à tous comme des évidences incontestables les choix éthiques et politiques de quelques-uns ; en réalité, c’est noyé dans le corps de ce document bavard que se trouve la motivation première de la « culture de défense » à faire germer dans la tête des élèves : l’éducation à la défense « répond aux besoins de recrutement des armées. » Il s’agit donc de recruter dans les établissements scolaires – ou à tout le moins de faire naître des vocations - parmi nos élèves, nos enfants, ceux qui se destineront à la guerre avec pas d’autre choix que de tuer ou de se faire tuer sur ordre. Une centaine d’entre eux sont morts ces dernières années en Afghanistan. Est-ce vraiment là la mission d’un éducateur ?

Dans cette collaboration contre nature entre l’armée et l’école, le mélange des genres conduit d’ailleurs à confier aux seules autorités militaires et à leur doctrine la formation des élèves et des enseignants, ces derniers notamment par l’intervention de l’IHEDN, une annexe du ministère de la Défense. On relève pêle-mêle la nécessité de « développer les échanges entre les élèves, les enseignants et les militaires pour rendre concret l’enseignement de la défense, la visite d’installations et d’unités militaires (…) pour instaurer un dialogue entre communautés éducative et militaire, la participation de militaires d’active ou de réserve aux côtés des enseignants pour faire connaître la défense. » Arnaque supplémentaire : la mise en avant ces dernières années du concept nébuleux de « défense globale », confondant dans une même approche « défense militaire, civile, économique, culturelle. »

Par un de ces paradoxes dont elle est coutumière, en cherchant à promouvoir cette culture de défense, l’Education nationale travaille à mettre en œuvre, chez les élèves, des habitudes de pensée, un  conditionnement, en contradiction flagrante avec d’autres exigences, d’autres objectifs des programmes scolaires, comme par exemple « la culture du jugement », « la réflexion critique » ou encore « l’argumentation », dont l’importance est pourtant affirmée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) dans son projet d’enseignement moral et civique annoncé pour la rentrée 2015. Car dans son principe, éduquer à la défense conduit à imposer à tout un public, captif par nature, des représentations personnelles, des analyses partisanes et politiques que le cadre impératif des programmes et des examens officiels interdit de remettre en cause. Dans un domaine – la guerre et la paix – où tout questionnement serait au contraire non seulement bénéfique mais parfaitement légitime, une prescription administrative tient lieu de morale d’état. Là où le débat et la critique devraient être la règle, les convictions et les préférences de quelques uns s’imposent comme vérité officielle ; l’administration interdit, impose ses certitudes, édicte ses préférences dans un domaine qui ne relève pourtant pas de son autorité : la conscience personnelle. C’est ainsi qu’à l’école et, plus tard, dans la société des adultes, des pratiques aussi inhumaines et aussi peu fondées que la bombe atomique – euphémisée en « dissuasion nucléaire » - les ruineux budgets militaires, les exportations d’armement irresponsables, l’usage inconsidéré de la violence, ne font l’objet d’aucune remise en cause.

Il est d’ailleurs curieux de constater que dans un pays et avec un système éducatif aussi prompts à commémorer les guerres, qui occupent par ailleurs une place privilégiée dans l’enseignement de l’histoire, la guerre et son pendant, l’ennemi, soient aussi peu conceptualisés, remis en perspective, un peu comme si la guerre allait toujours de soi, qu’il suffisait à un chef d’état de déclarer son pays « en guerre », de s’inventer un « ennemi » , pour que, comme par miracle, les citoyens, dociles, s’abstiennent de considérer les problèmes sous un autre angle.

 

B. Girard

voir aussi sur Rue89

 

 

 

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