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Journal d'école
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30 avril 2015

Nouveaux programmes : le bêtisier des opposants

Un bêtisier sur les nouveaux programmes d’histoire ? Rien de plus facile, tellement les critiques affolées, les postures outragées, les emportements furieux se sont déployés un peu partout dans les médias avec comme caractéristiques communes, outre de ne jamais faire dans la demi-mesure, de n’avoir guère de rapport avec les textes publiés. C’est une constante : pour parler des programmes d’histoire, il n’est pas nécessaire de les avoir lus, et d’ailleurs les plus virulents des polémistes – malheureusement les plus écoutés - n’ont le plus souvent que de lointaines compétences, voire pas du tout, avec l’enseignement de l’histoire. Les arrière-pensées ne leur font toutefois pas défaut.

L’UMP, comme on l’a déjà relevé, a eu l’occasion de montrer toute la finesse de son analyse politique : la « séquestration des élèves dans l’obscurité des fautes et des blessures passées » ne passera pas par elle.

« Dans une société en mal d'intégration et de cohésion nationale, on ne manquera pas de s'étonner d'une curiosité si grande pour les religions venues d'ailleurs, et d'une révulsion si manifeste pour nos racines judéo-chrétiennes (…) Plutôt que d'amener l'élève à puiser à la source du christianisme, de l'humanisme et des Lumières, le CSP préfère écouler ses stocks de repentance amère et éculée (…) Or, loin d'évoquer les plus belles pages de notre histoire, le CSP entend une nouvelle fois enfermer l'élève dans le culte de la culpabilité et de la haine de soi. Le fait n'est pas nouveau : il y a bien longtemps que l'enseignement de l'histoire se fourvoie chez nous dans un travail de sape et d'auto-flagellation prodigieusement masochiste. Avec la réforme du collège, un nouveau cap est franchi. Ne cherchez plus la crise de la France : elle est là, dans ce retournement de soi contre soi. »

Et le porte-parole du mouvement, à son tour, d’en appeler à Hollande « pour qu’il fasse « cesser l’hérésie » qui, si l’on n’y prend garde, aboutira à remplacer les professeurs d’histoire par des professeurs « de civilisation et du développement durable. » Il faut avouer que, même à tête reposée et avec beaucoup de bonne volonté, on a du mal à trouver dans ces tirades des éléments en rapport avec le quotidien d’une salle de classe et les préoccupations d’un prof d’histoire-géo : c’est manifestement sur un autre terrain que l’UMP veut entraîner l’adhésion.

Dans un même ordre d’idées et avec toute la subtilité qu’on lui connaît, Brighelli, professeur de français en classe prépa, prédit qu’avec les nouveaux programmes « les batraciens décérébrés seront assis désormais sur les bancs de l'école ». Mais à vrai dire, ce qui le chiffonne depuis toujours, c’est la place de l’islam dans l’enseignement de l’histoire – « l’entrisme islamiste », dit-il – qui s’apparente pour lui « à une haute trahison ». Et pour ceux qui n’auraient pas tout compris, évoquant les premières affaires de voile dans les années 80, il croit bon de préciser sa pensée : « Il y avait à l'époque deux jeunes musulmanes qui faisaient parler d'elles à Creil. Il y en a aujourd'hui deux millions (…) Les pions noirs occupent l'espace. » Par cette fine saillie qui a bien plus à voir avec un programme politique qu’avec les programmes d’histoire, Brighelli tient sans doute à rappeler à ses lecteurs sa promotion au poste de délégué national à l’instruction publique au sein du parti de Dupont-Aignan, Debout la France. (4) Là, effectivement, on comprend mieux.

La peur de l’invasion barbare – ne dites plus musulmane, c’est tout comme -  est décidément partout, obsédante, paralysante, comme chez Pascal Bruckner par exemple, qui, quoique n’ayant manifestement pas lu les programmes,  en arrive aux mêmes conclusions que l’UMP ou que Brighelli : «  On peut également s'étonner du choix de privilégier l'enseignement de l'islam par rapport à celui des Lumières ou du christianisme médiéval. A mon sens il ne s'agit pas d'un choix arbitraire, mais idéologique. Il y a sans doute ici une volonté d'ouverture à l'égard de l'islam, un souci de plaire aux nouveaux arrivants en supprimant tout ce qui peut les heurter. » Car c’est bien sûr à la France éternelle qu’on en veut : « A travers cette refonte des programmes scolaires on procède au reformatage du logiciel de la France pour complaire aux ennemis de celle-ci et de la liberté. » Avant d’asséner : « … il s’agit d’un mauvais coup porté à l’intelligence ». A ce point de désespérance, il faut bien reconnaître que Bruckner est déjà gravement atteint...

Comme d’habitude, la chronologie est l’objet des considérations les plus fantaisistes, une sorte de fétiche censé expliquer comme par magie l’histoire du monde : Régis Debray ne trouve ses « repères » que dans « un couloir chronologique », alors que Pascal Bruckner dont les compétences en matière d’histoire ne sautent pas davantage aux yeux, ne s’en croit pas moins autorisé à faire la leçon à coup de formules péremptoires : « sans chronologie, l'histoire n'a pas de sens », ce à quoi on pourra rétorquer, pour faire simple que, sans histoire, il n’y a pas de chronologie, parce que, tout simplement, l’accumulation de dates n’a jamais assuré la compréhension du passé.

Mais bien sûr, toute bonne polémique sur l’enseignement de l’histoire ne saurait se passer de Casali, qui, bien que ni historien ni enseignant, reste pourtant sur ce sujet l’invité privilégié des médias. Avec ses phrases choc, c’est un bon client, même si, d’une année sur l’autre, il répète toujours la même chose. Ces nouveaux programmes, dit-il, il les a « pris comme un nouveau coup de poignard à ce qui fonde notre identité. » Et de se lancer dans une vigoureuse philippique contre les concepteurs des programmes « pétris d’une idéologie d’ultragauche pleine de bien-pensance mais éloignée de la réalité du terrain. Ils affichent leur volonté de plaire aux nouveaux arrivants en supprimant tout ce qui peut les heurter : l'enseignement des racines chrétiennes et l'exercice de l’Esprit critique si français. » Les conséquences sont terrifiantes : « On s'étonne ensuite que des Coulibaly, des Kouachi et des Merah, qui tous ont suivi consciencieusement le cursus scolaire français, puissent en arriver à des telles extrémités. » Alors, comme Saint Jérôme prophétisant la destruction de l’Empire romain, Casali prévient solennellement que « les nouveaux programmes scolaires préparent les guerres civiles françaises de demain. »

Ces outrances verbales, ces formules ronflantes et vides de sens, on peut certes en rire ou feindre de les ignorer, tant elles sont ridicules et caricaturales. Mais la violence avec laquelle elles s’imposent dans le débat éducatif, leur omniprésence médiatique qui tendrait à leur conférer une forme de respectabilité malgré un manque évident de légitimité, tout cela ouvre pour l’école d’inquiétantes perspectives. En confiant à l’enseignement de l’histoire une fonction principalement identitaire, en ciblant toute une partie des élèves comme un corps étranger, ce sont bien des préoccupations purement racistes qui s’imposent dans la définition des programmes scolaires. Même si, aujourd’hui, le racisme peut prendre toutes sortes de noms : république, patriotisme, laïcité, racines chrétiennes etc. Pathétique, cette idée émise par Casali selon laquelle Coulibaly, les frères Kouachi, Merah seraient de purs produits d’un système éducatif défaillant ? Certes, mais n’est-ce pas cette représentation qui s’est trouvée unanimement reprise après les attentats de Janvier, dans tous les milieux, dans tous les partis politiques, au point de servir de ligne de conduite à l’Education nationale et à sa ministre, le patriotisme – qu’elle revendique pour l’école – se voyant chargé de régénérer toute une jeunesse sans repères ? Dans ces conditions, le communiqué de Najat Vallaud-Belkacem sur l’éventualité d’une réécriture des programmes ne manque pas d’ambigüité, surtout lorsqu’elle se croit obligée d’insister sur « l’enjeu essentiel de la transmission de notre histoire commune. »  

 

B. Girard

voir aussi sur Rue89 (à quelques détails près)

 

 

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