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Journal d'école
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18 mai 2015

Réforme du collège : une polémique qui choisit mal sa cible

Hurler au loup tout en se trompant de cible : c’est la curieuse impression qui ressort de la polémique entretenue ces dernières semaines autour de la réforme du collège et, accessoirement, des programmes d’histoire. Un peu comme si l’enseignement des Capétiens directs, des batailles napoléoniennes ou du grec ancien l’emportait en priorité sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales à l’école. Une confusion qui, indéniablement, en dit long sur la société qui l’entretient.

Deux nouvelles enquêtes -  « Grande pauvreté et réussite scolaire », « L’école de la réussite pour tous » - sont venues confirmer cette spécificité bien française : le rôle accablant joué par le milieu social dans la réussite scolaire des élèves. Passées presque inaperçues dans le tumulte médiatique autour de la réforme du collège, elles démontrent une nouvelle fois à qui veut bien l’entendre – mais qui le veut vraiment ? – que son fonctionnement fait de l’école française l’une des plus inégalitaires qui soient. François Jarraud (Café pédagogique, 12/05/2015) en récapitule les principaux enseignements : « Près de 1,2 million d'enfants vivent dans des familles qui ne touchent que 60% du revenu médian français (…) En France, la situation sociale des parents impacte le plus les résultats scolaires. » Une situation qui ne fait que s’aggraver : « Le système d’éducation français est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (…). En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003. » Le constat se renforce encore pour les élèves issus de l’immigration qui « sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. La proportion d’élèves issus de l’immigration se situant sous le niveau 2 en mathématiques lors du cycle PISA 2012 ne dépasse pas 16 % en Australie et au Canada, mais atteint 43 % en France (…) »  Comme le rappelle Véronique Soulé, la corrélation entre milieu socio-économique et résultats scolaires s’observe tout spécialement à l’entrée et à la sortie du collège : « A la rentrée 2014, on a compté 15,8% de fils d’ouvriers qui arrivaient avec du retard au collège alors qu’ils n’étaient que 3,4% de fils de cadres (…) Toujours à la rentrée 2014, les fils d’ouvriers étaient 28,2%  à avoir du retard à leur entrée en troisième contre 10,2% des fils de cadres. Si l’on prend les enfants d’inactifs, on atteint 41% pour les garçons et 35% pour les filles. »

Bref, l’école de la république en prend à son aise avec les grands principes dont elle est par ailleurs si fière et, au vu de ce constat, on pourrait comprendre les furieuses critiques qui lui sont adressées d’un peu partout ces derniers jours. Sauf que … Politiques, éditorialistes ont poussé des cris d’orfraie sur « le naufrage de la nation » et ses auxiliaires, « les naufrageurs de l’école », « le massacre des innocents », « nos enfants sacrifiés », « nos enfants qu’on assassine », « la forfaiture », « la barbarie », « la fin du génie français » (Sarkozy)... en attendant la suite : une énumération délirante mais qui, de façon très significative, ne porte en rien sur l’injustice fondamentale de l’école mais sur un très marginal projet de réforme du collège. Alors qu’on s’accommode fort bien et depuis toujours d’un échec scolaire massivement en rapport avec la condition sociale des élèves et du rôle de sélection arbitraire que joue le système éducatif dès l’entrée au collège – ce que d’aucuns qualifient de méritocratie républicaine – on sombre dans l’hystérie médiatique autour de timides mesures avancées dans le cadre d’une loi d’orientation, dont il faut rappeler au passage qu’elle a été votée par le parlement et, à une large majorité (51 voix pour, 25 contre), par le Conseil supérieur de l’éducation. L’échec scolaire pour les pauvres, ce n’est pas un problème mais avec l’accompagnement personnalisé, les projets interdisciplinaires, une seconde langue vivante pour tous les élèves plutôt que pour quelques-uns, une  approche renouvelée pour enseigner le latin et le grec,  la France sombre dans l’apocalypse.

Indépendamment de la composante purement politique qui alimente en partie la contestation – toucher à l’ordre scolaire, c’est toucher à l’ordre social – la controverse surréaliste qui accompagne le projet de réforme du collège met en évidence une sorte de paresse éducative qui vient presque systématiquement s’intercaler entre le discours et la réalité des choses dès qu’il est question, en France, d’éducation : comme l’école, devrait, à elle seule, être la réponse à tous les maux de la société et la garantie d’un avenir meilleur, toute modification, même la plus ténue, à un fonctionnement perçu par habitude comme étant la norme, alors qu’il n’est qu’une tradition, est considérée comme une menace. Une constatation qui se vérifie tout spécialement pour l’enseignement de l’histoire, tant les imprécations adressées aux changements de programme, pourtant minimes, paraissent décalées, hors de proportion avec le quotidien d’une salle de classe. C’est vraiment tout ignorer de l’enseignement, et de la nature humaine, que d’imaginer qu’il suffirait de  quelques heures de cours sur l’humanisme ou sur les Lumières – outre que ces questions ne disparaissent pas des nouveaux programmes, en dépit des assertions de mauvaise foi – pour construire des personnalités  critiques et tolérantes, voire pour assurer l’avenir d’une civilisation, comme on a pu l’entendre. Ou encore que la citoyenneté et la solidarité sortiraient comme par enchantement de la chronologie des rois de France ou des faits et gestes de quelques « grands personnages » … quand bien même les frères Kouachi ont appris cette histoire et aussi, probablement, à chanter la Marseillaise. Parce qu’elle fait partie des programmes.

Comme toujours dans le débat éducatif en France, les outrances verbales – et celles de ces dernières semaines resteront probablement dans les annales - accompagnent une sorte de pensée magique, par laquelle la société et le monde des adultes cherchent à éviter d’autres remises en cause.

 

B. Girard

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