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Journal d'école
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21 octobre 2016

De complaisances politiques en reculades : un ordre policier pour la société civile

Des policiers armés, cagoulés, utilisant leur véhicule de service pour monter sur l’Elysée : par certains aspects, la « colère », le « ras-le-bol » de la police réveillent le souvenir des ces ligues d’extrême-droite qui, en février 1934, manifestaient contre la Chambre des députés. Référence sans doute un peu rapide et anachronique, il n’empêche que ce mouvement prétendument « spontané » éclaire d’un jour inquiétant la rapide dérive policière de l’ordre public.

Aujourd’hui, et notamment depuis l’instauration d’un état d’urgence devenu permanent, la police dispose de tous les pouvoirs. Que demande-t-elle ? D’en avoir encore davantage… Leurs revendications dépassent largement la tragique agression dont quelques-uns d’entre eux ont fait l’objet, notamment parce qu’elles empiètent sur un domaine qui n’est pas de leur compétence, celui de la justice. Après le rassemblement, hautement symbolique, sous les fenêtres de Christiane Taubira il y a quelques mois, les présentes manifestations devant les palais de justice et la critique récurrente du « laxisme » judiciaire illustrent la prétention des policiers à s’ériger en justiciers et à  dicter leurs décisions à des juges qui ne leur sont pourtant pas foncièrement hostiles, comme le montrent par exemple les lourdes condamnations infligées le printemps dernier aux opposants à la loi Travail. Qu’une simple arrestation policière, effectuée le plus souvent avec brutalité, débouche automatiquement et immédiatement sur une peine de prison devrait donc devenir la règle. De cette profession qui ne cache pas ses préférences idéologiques pour le FN, le rétablissement de la peine de mort sera sans doute la prochaine exigence.  De fait, tout spécialement depuis les années Sarkozy – mais les années Hollande n’ont fait qu’amplifier le dérapage – une large partie de la législation pénale, alourdie de mois en mois, a été adoptée sous la pression des syndicats de police. Pourtant, même un non spécialiste du droit constitutionnel sait qu’en démocratie, le parlement vote la loi, le gouvernement la fait appliquer, la justice condamne les infractions et la police recherche et si possible arrête les auteurs des dites infractions. A chacun son rôle. Avec l’intrusion policière dans la fabrication de la loi et le cours de la justice, on se rapproche de quelque chose  qui tient davantage de l’état policier que de l’état de droit.

Malgré cela, malgré les principes – de plus en plus platoniques – qui font des pouvoirs publics les garants des libertés civiles, force est de constater que cette confusion des missions au profit de la police s’est faite avec la complaisance, la complicité non seulement des partis politiques qui, depuis longtemps, ont abandonné toute éthique en la matière, mais des institutions dirigeantes qui, à force de se coucher devant les revendications les plus extrémistes, les moins fondées, entretiennent la surenchère. Après tout, l’état d’urgence est-il autre chose qu’une satisfaction accordée aux organisations policières, visant à alléger les contraintes, les règles  considérées comme autant d’obstacles à l’arbitraire et à la brutalité ? Et pourtant, quand voit-on des policiers condamnés ou même seulement inquiétés pour des comportements manifestement illicites ? Le prétexte des attentats n’est plus guère crédible au regard de cibles privilégiées depuis un an par un état qui n’est plus d’exception : rarement les terroristes mais bien plus souvent les réfugiés, les immigrés, les mouvements sociaux, les opposants politiques. Et pourquoi les contrôles d’identité au faciès, sources de tant de troubles et manifestation d’un racisme officiel, perdurent-ils, sinon parce que sur ce point là encore, les policiers FN ont fait plier le gouvernement ?  La capitulation des politiques devant les prétentions sans fin de la police n’en finit pas de se dévoiler au grand jour, comme le montre par exemple l’effarante circulaire du ministre de l’Intérieur, en date du 20 septembre (1), visant à organiser, dans les prochaines semaines, des rafles policières massives contre les migrants, les zadistes de NDDL et  plus généralement contre tout mouvement d’opposition à la politique gouvernementale. Avec l’interdiction, par le préfet de la Loire, d’une manifestation prévue samedi à Saint-Etienne « pour le désarmement de la police et la démilitarisation des conflits » - et d’autres interdictions du même genre devenues courantes ces derniers mois – plus rien ne semble pouvoir s’opposer à l’arbitraire : la police, car c’est elle qui se trouve derrière l’interdiction, peut désormais faire obstacle à l’exercice d’une liberté fondamentale, celle de manifester.

Une subversion de la société civile et des droits de l’homme par la police ? Les développements récents montrent en tout cas comment la paranoïa sécuritaire sciemment organisée, obstinément entretenue par les politiques et les médias, peut déboucher avec une facilité déconcertante sur l’émergence d’un état policier, au sens premier du terme, qui ne fait plus de la police le garant de la sécurité mais l’instigateur d’un certain ordre politique. Ces dernières semaines encore, dans les 63 000 établissements scolaires, 13 millions d’élèves ont fait l’objet de cette manipulation à grand spectacle, les exercices anti-intrusion, désormais rentrés dans les habitudes éducatives, sans susciter de réaction particulière de la part des enseignants ou des familles.

C’est bien ce silence assourdissant qui fait problème.

 

(1) En cas de problème avec le lien, voir l'info directement sur le site de Reporterre, à la date du 19/10/2016.

Voir aussi sur Mediapart

 

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