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Journal d'école
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24 avril 2017

Elections : sortir du piège identitaire

En avril 2002, les réactions provoquées par l’accession de l’extrême-droite au second tour des élections présidentielles étaient le signe d’une réelle émotion : 4,8 millions de voix pour Le Pen, ce ne pouvait être qu’un accident, quelque chose d’intolérable de toute façon, ce que les millions de manifestants qui étaient descendus dans les rues le 1er mai suivant avaient voulu signifier, comme le score hors norme (82 %) obtenu au second tour par le candidat Chirac. C’était entendu : l’extrême-droite ne passerait pas. Quinze ans plus tard, l’extrême-droite est à nouveau présente au second tour des présidentielles mais cette fois-ci avec 7,6 millions de voix. Même en tenant compte de l’élargissement du corps électoral (41 millions d’électeurs en 2002, 47 millions en 2017), la progression est appréciable : aujourd’hui, dans le cadre d’élections nationales, 16 % des électeurs inscrits font le choix de l’extrême-droite (contre 11,4 % en 2002). Et encore ne tient-on pas compte des électeurs (1,6 million) qui se sont portés sur le nom de Dupont-Aignan qui n’est qu’un pâle épigone de Le Pen.

Différence notable également : la passivité, l’indifférence avec lesquelles l’opinion publique et les commentateurs « autorisés » accueillent l’incrustation de l’extrême-droite dans le paysage politique. La seule démonstration de masse, il faut aller la chercher … à Cologne, où 50 000 manifestants sont descendus dans la rue contre l’AfD, un parti dont l’audience est pourtant bien faible comparativement à celle du FN. En France, toujours, une éventuelle victoire de Le Pen au second tour ne semble pas particulièrement émouvoir une partie des responsables politiques, à en juger, par exemple par les déclarations plus que tortueuses de Mélenchon (quand elles ne sont pas franchement pathétiques comme hier soir : « ... mon beau pays, ma belle patrie, ma patrie bien aimée… ») qui ne font que confirmer toute l’ambiguïté du personnage et de son programme. Incontestablement, le FN est devenu ces dernières années un acteur comme les autres du jeu politique et surtout son idéologie, ses représentations se sont banalisées au point d’être considérées par beaucoup comme acceptables. Ce que les deux prochaines semaines de campagne électorale vont encore contribuer à amplifier, utilisées par l’extrême-droite pour propager toujours davantage ses thèses malsaines.

Contrairement à ce qu’ont pu avancer sur le sujet des cohortes de politologues, de sondologues, d’éditocrates, de spécialistes et d’experts auto-proclamés, il n’est guère crédible de mettre en rapport le vote Le Pen avec la crise sociale (que sait-on au juste du vote des chômeurs ?), l’exclusion, la précarité ou encore cette fumeuse « insécurité culturelle », dernière notion à la mode pour tenter de faire oublier quelque chose de beaucoup moins honorable : la xénophobie, sous toutes ses formes – du rejet de l’Europe à celui des immigrés – demeure le ressort du projet d’extrême-droite, une motivation étroitement corrélée aux préoccupations identitaires qui, depuis quelques années, gangrènent le débat politique. Parce qu’il fallait paraît-il éviter de laisser le monopole de l’identité nationale au FN, la quasi-totalité des responsables politiques, une large partie des faiseurs d’opinion, ont commis une sérieuse erreur d’appréciation, entretenant une surenchère identitaire – plus patriote que moi, tu meurs - dont on ne voit pas la fin. De quelque côté qu’on regarde l’objet, la nation reste un concept artificiel, historiquement daté, plus propre à entretenir des haines et des phobies, des peurs irrationnelles, qu’à faire émerger une société ouverte sur le monde et tolérante. La nation, c’est également l’outil le plus simple et le plus gratifiant à mettre en œuvre par des politiciens populistes pour décharger leurs propres électeurs de toute espèce de responsabilité dans une situation donnée et orienter le mécontentement, les ressentiments, sur les autres, le voisin, le réfugié, Bruxelles, Berlin, la finance (nécessairement mondialisée mais jamais française) ; la liste est infinie des boucs-émissaires dont la nation a un besoin vital pour exister. Ne pas laisser le monopole de la nation à l’extrême-droite ? Non seulement, cette prétention conforte d’années en années la place du FN dans le jeu politique mais elle rend toujours plus difficile la compréhension du monde d’aujourd’hui et plus hypothétiques les réponses aux enjeux qui vont avec (développement, migrations, guerres, environnement etc).

Au cours des deux derniers quinquennats, les présidents en exercice se sont laissés aller, par calcul ou par conviction – ou les deux à la fois – sur la pente glissante de l’identité nationale. L’école, tout spécialement, avec la promotion d’un patriotisme obligatoire, le recentrage des programmes d’histoire de l’école primaire sur le roman national, le renforcement de l’éducation à la défense, en a subi les effets. Quel serait l’aboutissement d’un troisième quinquennat sur cette même ligne ? En 2022, il sera sans doute trop tard pour poser la question.

 

Voir aussi sur Mediapart

 

 

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