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Journal d'école
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7 décembre 2017

Blanquer et l'apprentissage de la lecture : comment instrumentaliser l'échec scolaire

Finalement, à bien y regarder, la publication du dernier rapport PIRLS sur « la compréhension de l’écrit des élèves de CM1 » vaut moins par les informations fournies – pas franchement nouvelles – que par l’ahurissant spectacle donné dans sa conférence de presse par Blanquer, qui aura réussi, une nouvelle fois, en prenant prétexte d’une enquête dont on peine à croire qu’il l’ait lue, à détourner l’attention de l’opinion publique pour tenter de faire passer en force les conceptions réactionnaires qui lui sont chères.

Contrairement à ce qui a été repris  et répété par des médias toujours aussi peu regardants sur l’information fournie, l’enquête en question ne dit pas que les écoliers de 9-10 ans ne savent pas lire – la question n’est donc pas celle des sempiternelles « méthodes de lecture » - mais qu’un certain nombre d’entre eux, nettement plus nombreux que leurs voisins européens, ont des difficultés à comprendre ce qu’ils lisent (c’est d’ailleurs l’intitulé de l’enquête), à interpréter, à argumenter. Or, cet élément essentiel a complètement été occulté par un ministre qui a préféré asséner ses contre-vérités pour imposer, comme allant de soi, des mesures qui n’ont pas grand-chose à voir avec les difficultés réelles des écoliers.

Bien sûr, parmi les annonces emblématiques, celle de la dictée quotidienne n’a pas manqué d’assurer le succès du ministre auprès des chaînes de télé et des habitués du Café du commerce. Déjà annoncée par NVB en 2015 – et sans doute par la plupart des ministres de l’EN, tant l’effet est garanti – l’obligation d’un exercice quotidien, outre qu’il va à l’encontre de la liberté pédagogique reconnue par la loi, reste par principe une simple activité d’évaluation sans effet sur la compréhension en lecture qui relève d’autres démarches.

Plus grave, alors que – comme le rappelle d’ailleurs l’enquête – l’école française est celle qui consacre le plus de temps à l’apprentissage du langage (330 heures contre une moyenne de 236 heures dans les autres pays européens), Blanquer annonce qu’on en fera encore davantage, en utilisant l’heure hebdomadaire normalement dévolue aux activités pédagogiques complémentaires (APC) pour des exercices de français. Hors du bachotage point de salut : on voudrait dégoûter les élèves, bons et moins bons, de la lecture, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Dans un même ordre d’idées, le ministre prévoit la multiplication des évaluations (au milieu de l’année de CP, en début de CE1), mesure dont l’objectif de moins en moins dissimulé est d’imposer aux enseignants des méthodes officielles. Avec en embuscade, cette lourde dérive : « des recommandations du Conseil scientifique (i.e. son ami Dehaene) pour aider les professeurs à bien choisir leurs manuels. » Au rebours de la longue tradition du libre choix des manuels par les enseignants, Blanquer s’engage ici subrepticement dans la voix du manuel officiel, sorti directement des bureaux du ministre. Les nombreuses « recommandations » prévues par le ministre vont d’ailleurs dans ce sens : surveiller, régenter, contraindre les enseignants à se plier aux vues de l’administration. Un autoritarisme qui confirme d’ailleurs la curieuse conception que Blanquer se fait de l’autonomie des établissements.

Enfin, pour charger la barque, Blanquer profite de ce rapport relatif aux élèves de CM1 pour mettre un peu plus à mal la politique des cycles prévus par la loi d’orientation de 2013 et reprendre la main sur les programmes du collège qui n’ont pourtant qu’une année d’application. Aucun rapport avec l’enquête PIRLS sur le CM1, dira-t-on ? Pas pour Blanquer…

Dans le cadre de cette communication surréaliste, complètement déconnectée de son objet affiché, on ne trouvera évidemment rien sur les sujets qui fâchent, à commencer par le fait que les élèves évalués par PIRLS ont fait leurs apprentissages à partir des programmes 2008 (Darcos), dont le côté lourd et indigeste, le parfum réactionnaire, avaient été relevés à l’époque. Ou encore que cette période fut gravement perturbée par la quasi-suppression de la formation des enseignants mise en œuvre par le Dgesco de l’époque, J.-M. Blanquer. Le même qui, aujourd’hui ministre, n’a toujours rien à proposer de sérieux sur une question qui ne l’intéresse pas, méprisant comme rarement pour le « pédagogisme ».  Rien non plus sur la suppression de 18 journées d'école par an (la semaine de 4 jours), une initiative renouvelée aujourd'hui par Blanquer et dont on peine à croire - en dépit des dénégations "neuroscientifiques" avancées par le ministre - qu'elle ne pénalise pas encore davantage les élèves déjà en  difficulté. Pas un mot non plus sur le défaut d’origine du système scolaire français qui ne permet pas aux élèves de milieux les plus modestes de réussir à l’école. La dictée quotidienne devrait y remédier…

Dogmatique, autoritaire et incompétent : l’image que Blanquer donne de lui-même se confirme chaque jour puisque chaque jour est l’occasion d’une nouvelle annonce. En détournant les conclusions d’une enquête officielle, en instrumentalisant l’échec scolaire dans le sens qui l’arrange, le ministre ouvre toutes grandes les portes du lobby réactionnaire dont il apparaît comme l’homme providentiel.

 

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