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Journal d'école
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22 janvier 2018

Macron, l'armée, la guerre : silence dans les rangs (et à l'école...)

D’un président qui n’a pas connu la guerre (en dehors de celles qu’il entretient aujourd’hui comme à plaisir en Afrique), qui avait à peine 12 ans au moment de la chute du Mur de Berlin, qui a échappé aux corvées de la caserne et du service militaire, on pouvait espérer sur l’armée et sur la guerre un discours un peu plus distancié et surtout rationnel que celui qu’il a tenu pour la cérémonie des vœux aux armées. Espérer mais pas vraiment attendre, tant Macron a eu l’occasion depuis sa prise de fonction de se couler à son tour dans le costume de chef de guerre traditionnellement prisé par tous ses prédécesseurs. Dans ce domaine, Macron est aussi vieux que les autres, incapable de se défaire de représentations héritées du passé mais qui plaisent tellement à une large partie de l’opinion publique.

Avec un budget de plus de 34 milliards d’euros, dont aucune considération ne semble pouvoir freiner la folle croissance, l’armée est une nouvelle fois épargnée par la rigueur budgétaire : une augmentation de plus de 1, 8 milliard d’euros, tout naturellement prise sur les budgets civils. Par exemple sur le budget du logement qui, lui, se voit ponctionné de … 1, 8 milliard d’euros.  « Quand tu sais que tes élèves dorment dehors, parce que tu les vois arriver le matin avec des cernes énormes, les vêtements boueux, le cartable rongé par les rats, et que tu vois les mères de familles craquer en pleine réunion entre parents et profs, l’engagement en tant qu’instit est évident.» Ce témoignage d’un enseignant lyonnais, nullement isolé, illustre les conséquences d’un choix budgétaire qui fait passer les plus petits, les plus faibles, les besoins les plus évidents, derrière la gloriole nationale, les considérations éculées sur « le rang de la France », les intérêts sonnants et trébuchants du lobby militaro-industriel, intérêts fidèlement portés par un état-major dont les revendications sont toujours bruyamment soutenues par les médias et chaleureusement accueillies par tous les partis politiques. L’été dernier, le chef d’état-major, de Villiers, pouvait bien remettre avec éclat sa démission au président ; aujourd’hui, le président lui renvoie l’ascenseur en accordant les crédits demandés.  Avec le second budget militaire en Europe (juste après la Russie), la France participe activement au fabuleux gaspillage mondial qui voit chaque année la planète dilapider 1600 milliards de dollars pour faire la guerre. A ce petit jeu, la France tient effectivement son « rang ».

Et puisque rien n’est jamais trop beau ni trop cher pour l’armée, Macron est également revenu sur son projet de service national universel – l’endoctrinement, le conditionnement des jeunes – un projet psychédélique à 30 milliards d’euros dont il se confirme que le coût ne sera pas à la charge de l’armée mais des autres ministères. Dans la logique de l’éducation à la défense, qui vise à faire comprendre aux élèves que « les militaires servent la nation », l’Education nationale sera-t-elle en première ligne ? On doute que les objections viennent de Blanquer…

Mais sa fierté suprême, le chef de guerre et de l’état la place dans la bombe atomique. On a la fierté qu’on peut. « La dissuasion nucléaire – plastronne-t-il – est depuis plus de cinquante ans la clé de voûte de notre stratégie de défense », ajoutant qu’elle « nous permet de conserver notre autonomie stratégique et notre liberté d’action ». Une dissuasion qui, manifestement, n’a pas dissuadé une poignée de terroristes de passer à l’acte mais qui, de son côté, fait peser sur la Terre et ses 7, 5 milliards d’habitants une menace d’extermination totale, une menace de nature terroriste. Un terrorisme d’état qui n’a pas plus d’excuses que l’autre. Ici, Trump, Poutine et quelques autres ne sont pas une excuse ; elles ne dédouanent pas Macron qui fait preuve en la matière de la même inconscience, de la même irresponsabilité criminelle que les autres grands chefs de guerre. On est même effrayé de l’entendre avancer que sur la bombe, « les débats étaient aujourd’hui tranchés… elle fait partie de notre histoire. »  Tranchés ? Alors que la question n’a jamais été débattue pas plus au Parlement que dans une opinion publique qui, il vrai, fait preuve d’un aveuglement tout aussi coupable que celui du chef.

Aveuglement et complaisance qui font de tout ce qui touche à la guerre et à l’armée, en France sans doute plus que dans beaucoup d’autres pays, un véritable tabou. Un tabou qui a sans doute à voir, même si ce n’est pas la seule raison, non seulement avec l’endoctrinement officiel de l’éducation à la défense mais aussi avec une certaine conscience historique et civique fabriquée par l’école à partir d’un enseignement de l’histoire qui reste massivement structuré - à l’école primaire tout spécialement - par un récit national et guerrier et la promotion des chefs qui, quoiqu’on en dise, n’ont pas disparu des programmes officiels. Dans le cadre d’une enquête menée auprès de 7000 élèves âgés de 11 à 19 ans (déjà évoquée sur ce blog) Eglantine Wuillot, l’une des co-auteur.e.s, s’est plus spécialement intéressée à la manière dont les élèves perçoivent la guerre. De fait, lorsqu’on leur demande de « raconter l’histoire nationale » - c’est l’objet de cette enquête – leur récit montre la guerre comme le grand « opérateur de l’histoire. » « D’après les récits d’élèves – précise Eglantine Wuillot – la guerre constitue une part notable de la mémoire de peuple français. Elle fonde en quelque sorte l’identité de la France, pays guerrier et victorieux. » Stéphane Clerc, autre co-auteur de l’enquête, explique de son côté : « S’il existe un fil rouge parcourant l’ensemble du corpus (les récits d’élèves), c’est bien la menace pesant continuellement sur le territoire national (…) Nous sommes alors en présence d’un territoire « envahi », « attaqué », « occupé », « partagé », « divisé », « annexé » etc. En somme, les ennemis de la France, les autres nations - les Anglais et les Allemands principalement – révèlent en négatif les frontières du territoire national. Dans ces conditions, l’Europe est considérée comme un espace hostile (…) Finalement, non seulement le territoire national est-il volontiers présenté comme menacé ou assiégé de l’extérieur, mais la France est bien seule ».

Une France toujours dans son bon droit, la sacralisation de la guerre : il n'y aurait dans cet enseignement aucun rapport avec l’assentiment quasi général de l’opinion pour le discours insensé et le projet objectivement aberrant d’un président ?

 

Voir aussi sur Mediapart

 

 

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