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Journal d'école
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16 mai 2018

Blanquer, an 1 : gesticuler, surveiller, restaurer

Dresser le bilan d’une année Blanquer impose de se livrer à un tri préalable dans la communication frénétique qui semble être devenue l’activité première de l’EN et peut-être sa raison d’être. Nombre de mesures annoncées – qu’il est difficile de qualifier de « réformes » - tiennent davantage du gadget, de la volonté de saturer le terrain médiatique, domaine où Blanquer est effectivement un maître incontesté. Dans cette catégorie, on rangera, en vrac, la rentrée en musique, les Fables de La Fontaine distribuées aux écoliers comme lecture de vacances, l’interdiction des portables en collège (que le ministre n’a pas concrètement les moyens de mettre en œuvre) ou encore les petites phrases distillées sur l’uniforme scolaire, un domaine qui n’est pas de son ressort mais qui fait toujours son effet dans les médias. Effet garanti également pour les « internats ruraux », qui, s’ils ouvrent un jour, devraient répondre aux mêmes critères que les internats dits « d’excellence » de l’époque Sarkozy : un maximum de reportages publicitaires pour un minimum d’élèves, le tout destiné à assurer la promotion du commanditaire bien davantage que de répondre à un réel besoin.

Les annonces ne font pas des réformes

Un cran au-dessus, des dispositions dont Blanquer est très fier – le dédoublement des CP en zone prioritaire ou l’opération triomphalement baptisée « devoirs faits » - mais dont il faut relativiser l’impact : la première, parce que mise en place à partir de financements préexistants, votés par la majorité précédente ; la seconde, « devoirs faits », parce qu’elle reprend des dispositifs qui n’ont rien d’original, traditionnellement connus dans de nombreux établissements sous la dénomination d’études surveillées, d’études dirigées etc et dont l’efficacité n’a d’ailleurs jamais été démontrée ni même évaluée. Dans cette même catégorie – rien de nouveau mais on fait semblant d’y croire – l’école pour tous à 3 ans restera comme un modèle de communication à grand spectacle : en premier lieu parce que l’école n’est pas obligatoire – mais l’instruction – et surtout parce que les enfants de cet âge sont déjà quasiment tous scolarisés (à quelque 20 000 près, le plus souvent des enfants que les parents, pour des raisons diverses ne souhaitent pas scolariser aussi jeunes). Là encore, rien qui ressemble, de près ou de loin, à une véritable réforme de l’école, malgré les commentaires dithyrambiques et l’outrance des compliments adressés au ministre, le plus grand ministre que la France ait connu depuis Jules Ferry. Pour le moins…

Pourtant, il est indéniable que toutes ces annonces – dont l’effet sur la marche du système éducatif sera nul – ont occupé dans l’espace public bien davantage de place que d’autres mesures, souvent plus techniques, moins médiatisées mais qui, mises bout à bout, commencent à faire sens. Le retour en arrière, la réaction au sens littéral du terme, a commencé dès la nomination de Blanquer, avec le rétablissement de la semaine de 4 jours en primaire, un déni éducatif mais un cadeau fait aux parents (à une majorité d’entre eux), aux enseignants (une majorité d’entre eux), aux autorités locales (une majorité d’entre elles), bref un signal fort adressé aux électeurs. Dans la foulée, histoire de se démarquer du précédent gouvernement, le ministre élargissait les possibilités de redoublement, revenait sur plusieurs points de la réforme du collège (qui n’était pourtant pas une révolution), s’autorisait ouvertement un certain nombre de critiques sur les programmes officiels et sur le travail du CSP, mais aussi remettait en question la politique des cycles mise en place par la loi d’orientation de 2013.

Derrière les gadgets, l’école mise au pas

Mais c’est incontestablement l’école élémentaire qui devait faire l’objet de la croisade purificatrice de Blanquer avec le recentrage annoncé à grand fracas sur le « retour aux fondamentaux ». Il n’a pas fallu longtemps pour se rendre compte que cette annonce – en plus de sa formulation trompeuse (lecture, écriture et calcul ont toujours été les priorités de l’école) – était en réalité porteuse d’autres priorités, d’un véritable projet politique. En relançant comme il l’a fait les polémiques stériles et éculées -  sur les méthodes de lecture ou encore sur la pédagogie - en bombardant les établissements de notes et de circulaires comminatoires (pudiquement appelées « recommandations »), en mobilisant toute son administration derrière ses mots d’ordre, le ministre impose sa ligne : un enseignement qui privilégie non pas les fondamentaux mais les rudiments et, par la multiplication prévue des évaluations, un renforcement de l’autorité centrale, de l’administration, au détriment de l’autonomie, de la liberté des acteurs de terrain. Car si, comme le savent les enseignants, l’évaluation peut avoir ses vertus (notamment lorsqu’elle s’affiche comme formative), elle peut également s’avérer être un redoutable instrument de contrôle, lorsqu’elle vise à imposer des normes, des pratiques, des classements.

Par parenthèse, il apparaît bien que ce principe de surveillance renforcée vaille également pour le lycée avec la réforme annoncée du bac qui prévoit la mise en place d’un prétendu « contrôle continu » imposant en réalité un sévère bachotage de deux années sur des évaluations émanant de l’administration. Si évaluation il y a, elle porte alors sur la conformité des résultats des élèves et donc du travail des enseignants avec les consignes venues du ministère.

… un projet d’essence autoritaire

Plus que les annonces à grand spectacle (voir plus haut) destinées à amuser la galerie ou à détourner l’attention des véritables enjeux, c’est bien dans cette volonté de contrôle sur la marche du système, avec, en arrière-plan, même si la chose n’est pas pour l’instant explicitement formulée, une sélection renforcée des élèves, en germe dans l’extension sans fin des évaluations, qu’il faut chercher la ligne de conduite, la philosophie du ministre et plus généralement, du gouvernement : libéralisme en économie mais autoritarisme en matière sociale. Révélateur, d’ailleurs, le mode opératoire de Blanquer qui fonctionne au rythme de l’injonction permanente, de décisions jamais concertées, de pratiques qui sont le signe d’un réel mépris pour les personnels, pour l’expertise du terrain, symbole également de l’emprise croissante d’instances officielles qui s’affichent scientifiques alors qu’elles sont d’abord technocratiques.

De fait, c’est bien un projet politique décomplexé, dépassant celui qu’il avait mis en œuvre comme DGESCO (directeur général de l’enseignement scolaire) dans le gouvernement Fillon (2009-2012), que Blanquer semble vouloir mener à bien ; un projet dont, par exemple, Marine Le Pen, a bien saisi le fondement idéologique : « Jean-Michel Blanquer reprend à son compte nos idées sur l'école. Je ne peux que m'en féliciter. C'est une victoire idéologique pour nous, et une défaite des pédagogistes, qui ont fait tant de mal au pays ! »  (08/12/2017). Nulle récupération dans cette déclaration ; il suffit de se reporter au programme éducatif de Le Pen pour les dernières présidentielles pour voir tout ce qui rattache Blanquer aux conceptions éducatives brutalement réactionnaires de l’extrême-droite :  l’accent mis sur les rudiments (lire, écrire, compter) enseignés de façon traditionnelle (syllabique, méthodes répétitives etc) au détriment de l’ouverture au monde, priorité donnée aux grands textes du patrimoine littéraire et aux exercices de grammaire, enseignement de l’histoire réduit au roman national, place accrue accordée aux langues anciennes, rétablissement du redoublement, multiplication des évaluations et des examens visant à une orientation précoce des élèves, surveillance accrue des élèves (recours à l’internat pour les élèves à problèmes, port d’un uniforme scolaire, durcissement d’une laïcité punitive), à tous les niveaux renforcement de la hiérarchie et des pouvoirs de l’administration.

Entre le projet FN résolument tourné vers la restauration du passé et la politique menée par un ministre qui affiche à tout propos la modernité de son action, le rapprochement n’est ni factice ni arbitraire : il confirme simplement la porosité des frontières politiques en matière éducative. Et qu’il suffit d’un haut fonctionnaire sans scrupules, dogmatique jusqu’à l’arrogance, bien soutenu par la fabrique de l’opinion publique, conforté par les vieux réflexes d’obéissance d’une partie de son administration et la relative apathie du terrain, pour donner aux théories politiques les plus dangereuses une légitimité inattendue.

 

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