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Journal d'école
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15 novembre 2019

Entre cabotinage nombriliste et tentation totalitaire : un an de gilets jaunes

Les gilets jaunes auront bien du mal à accuser les différents organes d’information de dénigrement systématique : après une année pleine et entière où ils auront bénéficié d’une exposition médiatique sans rapport avec leur importance réelle, voilà que le « premier anniversaire » (sic) du mouvement fait l’objet d’une extravagante couverture, largement supérieure en bruits et en images à celle dont auront bénéficié par exemple le 50e anniversaire du premier pas de l’Homme sur la lune ou le 30e anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Entre le peuple massivement rassemblé en 1989 dans les rues de Leipzig et de Berlin, réclamant tout bonnement, avec la fin d’un régime de dictature, le droit de se déplacer librement et le « peuple » auto-proclamé d’une poignée de gilets jaunes se défoulant dans les rues le samedi après-midi, les journalistes ne voient pas la différence. Il est vrai qu’ils n’auront guère été aidés, tout au long de cette période, par les analyses sommaires et caricaturales d’une poignée de « spécialistes », principalement historiens et sociologues, qui, avec une bonne dose de mauvaise foi, en oubliant les principes de base de leurs disciplines, ont voulu voir dans les gilets jaunes les héritiers des révolutionnaires de 1789 ou de la Commune de Paris, dans les Drouet, Nicolle et consorts des figures charismatiques inspirées par Robespierre ou Louise Michel.

La fabrique du bon gilet jaune

Si on laisse de côté le cas très problématique de Mediapart, devenu avec une obstination et un aveuglement qui ne laissent pas d’interroger, l’organe quasi officiel des gilets jaunes, la presse locale fait preuve de beaucoup d’imagination et d’une grande persévérance pour tenter de faire renaître de leurs cendres les gilets jaunes. Combat mené, par exemple dans l’ouest de la France, par le très catholique et très conservateur quotidien Ouest France, dont la complaisance jamais démentie pour les gilets jaunes est d’une nature assez voisine de celle affichée pour les gros bras de la Fnsea ou les ensoutanés de la Manif pour tous. Mais – de façon significative – une complaisance qu’ont attendue en vain, pendant des années, les opposants à l’aéroport de NDDL. Tout comme pour France Bleu – le service public de l’information régionale, financé par le contribuable – qui, s’affichant sans scrupules comme la voix des gilets jaunes, ressuscite ces derniers jours tous les travers de la voix de la France de triste mémoire, le mode opératoire éditorial est toujours le même : les gilets jaunes vus par les gilets jaunes, racontés par les gilets jaunes, mythifiés par les gilets jaunes. Un simple relais de la communication des gilets jaunes, sans aucune distanciation, sans regard critique, tout contradicteur se voyant immanquablement renvoyé dans les rangs de la « macronie » (élément de langage massivement utilisé pour disqualifier toute forme de contestation), puisque, nous dit-on, tout gilet jaune est le peuple à lui tout seul. Bref, avec les gilets jaunes, la pensée unique a fait un retour en force dans le petit monde médiatique français qui n’en avait pourtant pas besoin. Le « premier anniversaire » des gilets jaunes ? Une sorte de commémoration quasi officielle (même les ministres se croient tenus d’y participer) avec anciens combattants en gilets jaunes, déploiement de drapeaux tricolores et Marseillaise chantée à gorge déployée. Mais ça, c’était déjà le cas l'année dernière… Ne manque plus que la médaille commémorative pour que l’illusion soit parfaite.

A la vérité et comme une année entière de mise en scène et d’exhibitions hebdomadaires n’a guère contribué à lézarder cette image d’Epinal, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ce mouvement est né de la contestation non pas d’un ordre politique et social injuste mais, plus prosaïquement, des taxes sur le gasoil et des limitations de vitesse. Se souvenir également que les premiers rassemblements (déjà excessivement violents, provoquant la mort de plus d’une dizaine de personnes dont le seul tort était de ne pas avoir enfilé à temps leur gilet jaune) ciblaient non pas la détresse sociale mais les taxes, les impôts, les privilèges des fonctionnaires (car un fonctionnaire ne peut être qu’un privilégié), les services publics (ruineux pour le pauvre contribuable), les syndicalistes (dont certains ont été brutalement agressés), les journalistes accusés d’être au service du pouvoir (sauf bien sûr, ceux de Mediapart qui avaient de bonne heure fait allégeance au mouvement), sans oublier, non plus, quelques immigrés clandestins qui avaient eu la mauvaise idée de se trouver sur leur passage. Tout cela, on peut faire semblant de ne pas le voir, comme de ne pas voir non plus la dimension identitaire pourtant évidente de certains rassemblements et la préférence affichée par une large proportion de gilets jaunes pour l’extrême-droite.

L’escroquerie gilets jaunes

Dans ces conditions, alors que la contestation sociale se développe aujourd’hui autour principalement de la défense des services publics, des retraites, d’une politique qui légitime la redistribution sociale et donc les contributions sociales, le brutal surgissement des vieux gilets jaunes au côté des syndicats hier voués aux gémonies ne manque pas d’interpeller, de faire sourire même (ou de s’esclaffer), si le sujet s’y prêtait : adorer aujourd’hui ce qu’on brûlait hier, c’est la continuation d’une grossière escroquerie née il y a un an.

Car si les gilets jaunes devaient passer dans l’histoire, ce serait effectivement au titre d’une mystification, d’une manipulation des faits et des choses dont on connaît, du moins pour l’époque récente, relativement peu d’équivalents. Fondamentalement, en considération d’un mouvement qui n’a jamais rassemblé plus de 200 ou 300 000 participants au moment le plus fort, pour terminer avec quelques centaines, - des rassemblements toujours qualifiés de « mobilisation »… - la confusion constamment entretenue, obstinément cultivée par les gilets jaunes entre la rue et le peuple disqualifie ses auteurs dont ce fut l’élément de langage le plus constant ; le mode opératoire adopté, à base de violences gratuites, d’intimidation, brouillant encore davantage le message délivré. A proprement parler, les gilets jaunes n’ont jamais « manifesté », leur objectif étant, de leur aveu même, « l’occupation », le « blocage » et donc la confiscation de l’espace public jusqu’à satisfaction de leurs revendications. Mais quelle peut être la légitimité de ce type d’actions, résumé par une formule – « on ne lâche rien » (au passage empruntée à la Manif pour tous…) – qui aboutirait à imposer à tout un pays la loi d’un petit nombre imposée par la violence ? Si les institutions politiques de la 5e République ne sont certes pas un modèle de démocratie, si les modalités de désignation des responsables peuvent être contestées, de même qu’un certain type de maintien de l’ordre « républicain », que dire de la prétention des gilets jaunes, peuple auto-proclamé mais en réalité ne représentant qu’eux-mêmes, à soumettre tout un pays à leurs valeurs, à leur éthique, comme si aucune autre n’était possible ? On peut certes critiquer le système électoral mais prétendre que la confiscation de la rue, que les déprédations gratuites sur l’espace public, que des sondages d’opinion, que des like sur Facebook ou des clics sur Youtube seraient moralement supérieurs, c’est un déni majeur de démocratie.

Pour justifier cette aberration, l’excuse de « violence sociale » mise en avant par les gilets jaunes et les commentateurs ne tient pas la route : jusqu’à plus ample informé, aucune étude sérieuse n’a à ce jour confirmé le lien entre les plus défavorisés (qui se chiffrent en France en millions) et des gilets jaunes qui, chaque samedi, de 14 à 16 heures, se défoulent sur l’espace public pour le plus grand plaisir de se donner en spectacle et de s’offrir bonne conscience à peu de frais. Au rebours du discours dominant repris par quasiment tous les médias, y compris les moins engagés dans les préoccupations sociales, on peut difficilement considérer comme un « mouvement social », un « soulèvement populaire », voire une révolution ( !) un type d’action qui relève, au moins en partie, du cabotinage nombriliste.

Puisque, dans sa nature, le peuple est divers, le rôle de la démocratie doit être, précisément, de faire vivre cette diversité et non de l’étouffer au nom d’une prétendue volonté populaire qui n’est rien d’autre que la loi de la majorité du moment (de ce point de vue, les RIP/RIC dont on semble faire grand cas chez les gilets jaunes ne sont pas plus représentatifs de la volonté du peuple que le système électoral actuel). Et lorsque la loi de la majorité du moment s’impose par la violence de rue et l’intimidation exercées par un petit nombre qui confond ses pulsions avec l’intérêt général, on entre dans quelque chose qui commence à sentir son totalitarisme. Trop d’ambiguïtés, trop de violences, trop de bavardages inutiles, trop de slogans faciles, trop de gros bras dans leurs rangs entachent la crédibilité des gilets jaunes. Le renversement du pouvoir plutôt que l’exercice des responsabilités n’est pas le signe d’un grand courage politique… ni d’une grande lucidité, dans un pays où deux électeurs sur trois ont pris l’habitude de voter pour la droite ou pour l’extrême-droite et où une  gauche pusillanime, gangrenée par les ambitions personnelles et les querelles de chapelles, s’avère décidément incapable de construire un projet alternatif crédible.

Les gilets jaunes ne préparent pas des lendemains qui chantent.

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