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Journal d'école
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19 octobre 2020

Laïcité dénaturée

Le 17 novembre 1883, Jules Ferry adresse aux instituteurs une circulaire sur l’enseignement de la morale :

« Si parfois vous étiez embarrassés pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, si non, parlez hardiment ».

Une circulaire qu’il faut certes contextualiser – il s’agissait alors pour Ferry de s’assurer une certaine bienveillance de populations surtout rurales peu acquises à la république – mais qui illustrait la préoccupation de ne pas heurter frontalement les convictions morales et religieuses des familles. Des scrupules il est vrai étroitement bornés au domaine religieux et dont les dirigeants républicains s’affranchiront allègrement pour tout le reste, livrant des générations entières d’écoliers à un bourrage de crâne identitaire dont beaucoup ne sortiront pas vivants (1914-1918…)

Le 18 octobre 2020, sur France Inter, I. Roder – enseignant à ses moments perdus mais surtout membre du conseil des « sages » (sic), outil de surveillance de la laïcité mis en place par Blanquer –interprétait à sa façon le meurtre d’un enseignant de Conflans :

« Le discours de l’institution doit être clair : vous restez à votre place de parent, vous n’avez pas à vous immiscer dans les enseignements. Il faut que les parents comprennent ce qu’est l’école de la République »

Plus comminatoire et méprisant, on ne trouvera pas. Mais une violence qui montre à quel point, depuis quelques années, la laïcité se trouve instrumentalisée au point d’en devenir méconnaissable. Vécue au départ comme un symbole de tolérance et de liberté après des siècles de religion d’état, elle fait aujourd’hui figure d’outil de surveillance et de stigmatisation de toute une partie de la population. Peut-être pas seulement des élèves de confession musulmane mais, dans la bouche de Roder et d’un certain nombre d’enseignants, de tout ce qui vient de l’extérieur, toute forme de critique étant perçue comme une « immixtion » intolérable. Une assertion d’autant plus sordide qu’elle assimile la présence des parents à l’école à une menace terroriste.

La suite est attendue. Et annoncée. Comme en janvier 2015, il n’aura pas fallu longtemps pour que le meurtre d’un prof ne fasse resurgir la mise en accusation de l’école, une école où « l’on a laissé passer trop de choses », pour reprendre la formule aventureuse du Premier ministre de l’époque. Déjà, des mesures de « sécurisation » sont à l’étude comme si la culture Vigipirate, appliquée aux établissements scolaires depuis les années 90, n’avait pas démontré toute son inanité (et son ridicule), attestant que la sécurisation en question avait davantage pour fonction d’entretenir un sentiment de peur que de protéger élèves et enseignants.

Déjà, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux, resurgissent les récriminations de « pas de vagues », sur les enseignants abandonnés par leur hiérarchie, sur l’élève au centre. Un enseignant assassiné ? Une conséquence de la suppression des redoublements, sans aucun doute…

Et dans un contexte qui fait dériver la menace terroriste de l’étranger, il faut aussi s’attendre à ce que l’école ne soit pas épargnée par une surenchère identitaire déjà très lourde. « Qu’un sang impur abreuve nos sillons… » : est-on vraiment certain que le rabâchage de la Marseillaise par des écoliers soit synonyme de tolérance et de fraternité ?

En réalité, ce qui se profile derrière les belles paroles et les grands discours sur les valeurs de la république, c’est un repli de l’école derrière ses murs, une école barricadée qui se ferme toujours plus sur l’extérieur, qui voit une menace dans toute critique, une école qui n’est pas celle des Lumières mais de la peur, génératrice d’obscurantisme et de coercition. Malheureux hasard : l’injonction adressée aux parents de « rester à leur place » coïncide avec l’annonce de l’école obligatoire et la mise en place, avec le SNU, de l’encasernement de tous les élèves de 15-16 ans.

Curieuse façon d’éduquer les enfants à la liberté d’expression.

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